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Sarkozy nous conduit à la catastrophe culturelle


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Sarkozy nous conduit à la "catastrophe culturelle"

Par Antoine de Baecque (Historien) 10H56 06/02/2008

Antoine de Baecque poursuit son exploration de la "panne culturelle" de la France sous Nicolas Sarkozy.

Régulièrement, la culture française entre en crise, se replace au centre des discussions, des polémiques, du débat d’opinion, et encourage les réflexions, propositions et contre-propositions. La politique culturelle se fait alors genre éditorial et gagne ses galons de sujet crucial pour cénacles du verbe. Il ne se passe guère de semaine qui ne voit paraître un article, un texte, un appel, une pétition, même un livre, ayant pour objet les politiques culturelles, ce qu’elles furent et ne parviennent plus à être, ce qu’elles sont et ce qu’elles devraient être.

Deux grandes idées structurent généralement ces critiques et ces rêves. La démocratisation de la culture, d’une part, qui devrait autoriser l’accès de tous aux choses de l’esprit; la valeur absolue de la création, d’autre part, puisqu’il s’agit là, sans doute, de la forme majeure de l’héroïsme contemporain, d’une "religion moderne". La crise vire en général assez rapidement à la grande messe culturelle, célébrée en France avec une emphase certaine: on oublie la crise initiale, celle qui a tout déclenché, pour mieux réaffirmer périodiquement, haut et fort, que la culture est comme le lien suprême de la nation, ce qui ferait tenir ensemble des citoyens divisés, des minorités multiples et complexes, des traditions largement contradictoires, et cela depuis des décennies, voire des siècles.

Tous les citoyens, ici, pourraient se reconnaître en une idée maîtresse: la France est la patrie de la culture; être Français, c’est partager la conviction que la culture nous rend meilleur. En un mot, la culture provoque débat en France car elle est ici considérée comme l’enjeu majeur d’une politique possible, et même obligée.

Or, il semble désormais en aller tout autrement en ces temps nouveaux du sarkozysme. Certes, la politique culturelle est toujours en crise. Mais ce n’est plus pour mieux réaffirmer sa nécessité et tenter de trouver une autre manière de la pratiquer, d’autres domaines sur lesquels placer la priorité des investissements et des attentions de la politique d’intervention de l’Etat. Aujourd’hui la crise traduit une autre réalité: elle révèle surtout que la politique culturelle est en train d’être sacrifiée au nom d’autres valeurs, au nom d’autres priorités. Celles-ci s’appellent: obligation de résultat, rentabilité, performance économique.

Début janvier, le gouvernement a rendu public un projet de notation trimestrielle des ministères et de leur titulaire qui, dans le cas du ministre de la culture, serait absolument suicidaire: seize critères qui vont de l’évolution de la fréquentation des musées à la part de marché des films français sur le territoire national, ou au nombre de fichiers audio ou vidéo piratés.

Si un ministre de la culture voulait être “performant” dans ce cadre-là, ce serait un appel permanent à la démagogie et au pouvoir de la mode, du prime time, du best-seller et du film qui marche. C’est-à-dire une révision complète des priorités de la politique culturelle telle qu’elle existe en France depuis plus d’un demi-siècle: prix unique du livre, subventions aux théâtres publics où l’on ne joue pas précisément la dernière pièce à succès d’un boulevardier en vogue, avances sur recettes prioritairement données à des films sélectionnés sur des critères de "qualité" et non de rentabilité forcenée, etc.

L’autre projet sarkozyen de l’action publique, l’un des plus importants du quinquennat, va lui aussi dans le sens de la performance et de ses effets pervers concernant toute politique culturelle. Il s’agit de la RGPP, la "révision générale des politiques publiques", annoncé par le Premier ministre en juillet dernier et piloté conjointement par l’Elysée et Matignon. Cette politique vise au retour à l’équilibre des finances publiques à l’horizon 2010-2012, à l’amélioration de la performance de la dépense publique et à une réduction conséquente du nombre des fonctionnaires.

De fait, il s’agit d’imposer une autre "culture", celle du résultat, au cœur de la politique publique, projet inspiré par le modèle de l’entreprise libérale et de son efficacité économique, qui est, on le sait, au centre des références et de la philosophie du discours de Nicolas Sarkozy. Concernant la culture, cette mutation est lourde de conséquences. On peut même prévoir non seulement une panne culturelle mais plus encore une "catastrophe culturelle" d’ici à quelques années de ce régime-là.

Il s’agit d’une mutation d’importance, qui va bouleverser la vie culturelle française. La culture et sa politique publique ont toujours été préservées sous la droite de gouvernement, et même longtemps initiées par cette droite: la création du ministère est une volonté purement gaullienne, en février 1959, sous les auspices de l’"ami génial", André Malraux, cela au nom de la grandeur culturelle du pays, qu’il fallait préserver, encourager, puisqu’il s’agissait d’un des "domaines réservés" du souverain en France, cela depuis l’Ancien Régime et les rois de France.

Le souverain en France, qu’il règne sur une monarchie, dirige un empire ou préside une république, a toujours été le protecteur des arts et le diffuseur de la culture nationale, faisant de toute politique culturelle une affaire personnelle. Il nous paraissait naturel, dans le pays de l’Etat nation, que la puissance publique soit à la fois une providence et un mécène. Etat providence et Etat mécène sont les deux figures d’une même face, celle d’un Etat qui serait depuis toujours l’instituteur de la culture, son régent, son intendant et son dispensateur.

La politique culturelle est en France un devoir d’Etat, une de ses raisons d’être, au même titre que l’éducation, la défense du pays, la diplomatie, ou le droit de battre monnaie. Tout cela jusqu’à Jacques Chirac compris, qui, malgré l’impéritie grandissante et l’incapacité paralysante, s’accrochait à quelques grands projets culturels, dont le Musée du quai Branly fut, de fait, le seul à voir le jour. Mais du moins cette croyance protégeait-elle l’idée même d’une politique culturelle contre l’obligation de résultat et l’exigence de performance (selon les critères de l’économie libérale).

Avec Nicolas Sarkozy, nous entrons dans une autre ère, il faut le savoir. D’ailleurs, aucun grand "projet culturel" n’a été annoncé (alors que celles-ci n’ont pas manqué), mis à part un très aléatoire et nébuleux "jardin des sculptures" sur le site de Billancourt. Cela est logique, puisque la culture comme aspiration commune, comme service public, comme "élévation des âmes" et révélation de soi, le nouveau président n’en a rien à fiche.

La culture ne fait plus trembler sa voix, et la politique culturelle lui paraît surtout l’occasion de dilapider l’argent des contribuables. Sur ce point, il faut se faire une raison: Sarkozy sera impitoyable, cynique, efficace. Sa seule culture est celle du résultat: il préférera toujours un film qui marche à un beau film, un livre qui se vend à un bon roman. Cela ne veut pas dire qu’il fera en sorte que les films qui marchent soient beaux ou que les romans lus soient bons, mais bien davantage qu’il est persuadé qu’est beau le film qui marche et qu’est bon le roman à succès, quels qu’ils soient. C’est le critère de rentabilité qui devient ici prioritaire, non celui de la qualité.

Et c’est ainsi que, tout comme la politique d’éducation ou de santé publique, la politique culturelle à la française ne résistera pas longtemps au rouleau compresseur des chiffres, de la statistique, et de ces notations qui s’annoncent.

► Antoine de Baecque publie le 26 février: "Crises dans la culture française. Anatomie d’un échec", aux éditions Bayard.

http://rue89.com/prise-de-baecque/sarkozy-nous-conduit-a-la-catastrophe-culturelle

A noter les commentaires, savoureux, dont j'extrais cette perle d'une "enculturée":

Dommage pour vous Bardamu si vous ne voyez pas l'utilité d'un ministère de la culture ! En ce qui me concerne,j'en vois la nécessité!Je suis contente d'aller (gratuitement) dans les musées avec mes enfants ,le 1er dimanche de chaque mois ! Je suis contente qu'on subventionne les troupes de théatre! Je suis contente qu'on encourage les jeunes artistes ! Je me réjouis quand on aide le cinéma d'auteur ! ETC… C'est vrai que dans les pays totalitaires , il n'y a pas de ministère de la culture ; mais , nous sommes heureusement dans une DEMOCRATIE ! Alors vive la culture !

En clair, l'Etat doit payer pour ce que j'aime…

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http://rue89.com/prise-de-baecque/sarkozy-nous-conduit-a-la-catastrophe-culturelle

A noter les commentaires, savoureux, dont j'extrais cette perle d'une "enculturée":

En clair, l'Etat doit payer pour ce que j'aime…

Surtout que cette idiote dit n'importe quoi. La culture d'Etat est d'autant plus présent que l'on est dans un régime totalitaire. La manipulation de la culture, c'est un bon moyen d'endoctrinement.

Ce n'est guère un hasard que les arts subventionnés sont majoritairement des "oeuvres" contestant la société de consommation, le capitalisme, le libre marché, ou les valeurs bourgeoises, le tout dans un trip de regression scato.

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Parce que vous ,vos gouts culturels vont uniquement vers des "produits" non subventionnés ?

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Les autres réponses audit Bardamu (qui a eu le culot d'affirmer qu'un ministère de la culture n'était pas nécessaire) sont tout aussi gratinées et, comme toujours avec les gauchos, prodigues en injures et démonisations en tout genre:

léo solo (enseignant spécialisé DI) 15H44 06/02/2008

Quand R Char écrit :

"Il existe une sorte d'homme toujours en avance sur ses excréments"

c'est aussi pour dire, en creux, que d'autres ne sont pas de cette sorte.

Savoir faire cette part des choses s'appelle "culture".

A contrario, les victimes de ce manque de discernement, elles, se font simplement dessus.

7 vote(s)»

Quinine (traducteur et amoureux des chats) 16H07 06/02/2008

Parce que, quand vous dites que «le pauvre Badiou écrit (…) sous lui», vous n'utilisez pas, vous, d'arguments ad hominem, n'est-ce pas ? Si seulement vous pouviez faire preuve de la logique et de la capacité de réflexion d'un Badiou, vous seriez peut-être autorisé à le critiquer. Mais voilà…

Depuis un moment que je lis vos commentaires sur Rue89, je me dis qu'effectivement, vouloir faire accéder à la culture des réactionnaires de votre acabit, c'est un peu comme de donner de la confiture aux pourceaux.

léo solo (enseignant spécialisé DI) 16H59 06/02/2008

Traverser certains océans de bêtise coûterait quantité de kérozène.

Observer la mer de désolation peut suffire à alimenter la joie d'un simple lecteur. Cette mer se traverse d'un seul battemement de sourire amusé en lisant les laborieuses traces d'un triste fantôme s'agitant dans l'obscure clarté des sables mouvants de son style éponyme.

6 vote(s)»

Quinine (traducteur et amoureux des chats) 17H04 06/02/2008

Non, non, c'est vous qui m'éclairez. Grâce à votre façon de vous moquer de mon pseudonyme, j'ai appris un mot nouveau. Vous voyez bien que vous pouvez, vous aussi, faire œuvre culturelle. Encore merci, M. Baducu !

6 vote(s)»

C. Creseveur (scénariste) 17H06 06/02/2008

Je ne sais pas dans quel état culturel est Marc Fumaroli, mais faudrait pas qu'il vous prenne trop de temps de cerveau disponible.

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Parce que vous ,vos gouts culturels vont uniquement vers des "produits" non subventionnés ?

Ce n'est pas parce que ce n'est pas subventionné que je dois aimer. Mais c'est encore moins parce que j'aime que ça doit être subventionné !

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Du même auteur, un article un peu plus intéressant - on y étrille Malraux et Lang!

Albanel face à la révolte du cinéma: un ministre vers la sortie

Par Antoine de Baecque (Historien) 07H54 21/02/2008

Y a-t-il encore un(e) ministre à la Culture? En tous les cas, il (elle) ne répond guère. Interpellée de plus en plus bruyamment par les acteurs culturels, de tous les bords et de tous les domaines, Christine Albanel se fait la plus discrète possible tout en restant placée sous haute surveillance depuis l’Elysée, où règne un "conseiller du Président pour la culture et l’audiovisuel", l’ex-trublion médiadique mitterrandolâtre Georges-Marc Benamou.

Ce dernier n’a pas davantage de projet pour la culture, encore moins d’ambition de relance de la politique culturelle, mais du moins peut-il souffler à Sarkozy quelques effets d’annonce, claironnés sur la place publique en guise d’alibi culturel, sans même que la ministre en charge ne soit préalablement mise au courant.

Le cabinet du ministre de la Culture est aussi désorganisé que désemparé, effaré souvent par l’impréparation, l’amateurisme, pour tout dire l’absence de projet culturel, et craint de plus en plus ouvertement le confinement et l’isolement auxquels est soumise Christine Albanel, qui gère à peine les affaires courantes. Comme si elle était, depuis ses premiers pas et la lettre de mission qui lui fut adressée par la présidence de la République dès le 1er août dernier, encadrant significativement toutes ses actions, en état de sursis permanent.

Là voilà cependant au pied du mur. Car, à l’occasion de la cérémonie des César, vendredi 22 février, la profession se mobilise de façon sans précédent, notamment les métiers du cinéma et de l’audiovisuel, en première ligne dans les suppressions de crédits et le désengagement massif des politiques publiques. Un appel circule, "Vers le démantèlement de la diversité culturelle en France?", dénonçant "la forte baisse des crédits disponibles en Drac (Directions régionales des affaires culturelles) pour les festivals, les associations de salles, les circuits itinérants et, plus généralement, l’ensemble des acteurs de l’action culturelle cinématographique du territoire français".

Vendredi, à 21 heures, au moment même où débutera la cérémonie des Césars, il y aura grève des cinémas en France: tout le réseau art et essai et de recherche, celui qui soutient prioritairement le cinéma français récompensé au César depuis quelques années, suspendra sa séance et fermera les salles, en signe de protestation. Et l’ambiance promet d’être chaude et agitée dans la salle des César elle-même, cérémonie qui pourrait être l’ultime sortie d’une ministre qui n’en peut mais, une "versaillaise" chahutée par la Commune des cinéastes en colère.

Ensuite? Au profit d’un remaniement ministériel post-électoral, qu’on annonce aussi inéluctable que renversant, verra-t-on, comme la rumeur le colporte, le retour de Jack Lang en sauveur de la rue de Valois et de la politique culturelle à la française? On ne peut souhaiter pire destin à l’ancien patron du ministère… Mais cette succession déjà ouverte a le mérite de poser des questions non négligeables: qu’est-ce qu’un bon ministre de la Culture? Historiquement, il y a trois modèles. Malraux, Lang, et Tartempion. Mais le problème demeure: tous ont connu l’échec…

La taille Malraux

Malraux était fou. Ses discours avaient tout du delirium, ses postures pouvaient faire peur, et ses visions, ses tremblements, ses obsessions fétichistes, son narcissisme exacerbé, sa perpétuelle grandiloquence, proposaient le cas clinique d’une névrose profonde. Mais cette folie le protégeait. Elle confortait son personnage, celui que De Gaulle nommait "l’ami génial":

"A ma droite, j’ai et j’aurai toujours André Malraux. La présence à mes côtés de cet ami génial, fervent des hautes destinées, me donne l’impression que, par là, je suis couvert du terre à terre. L’idée que se fait de moi cet incomparable témoin contribue à m’affermir. Je sais que dans le débat, quand le sujet est grave, son fulgurant jugement m’aidera à dissiper les ombres."

Et comme l’indispensable dissipateur d’ombres ignorait le terre à terre, il fallait lui confier des tâches stratosphériques et surtout bien l’entourer. Ce fut la faculté de Malraux: tracer une voie à travers la nuée en des mots suffisamment épiques et visionnaires pour qu’ils supportent un projet, suffisamment obscurs, ésotériques et généraux pour qu’ils soient laissés à l’interprétation de ceux qui allaient les mettre en œuvre.

Sa grande force: un entourage d’administrateurs, d’hommes d’idées et d’actions, d’aventuriers de la culture, d’explorateurs en missions spéciales (un certain nombre venaient d’ailleurs de l’administration coloniale, tout juste démobilisés en 1959). Malraux était alors irrécusable.

Sa folie l’a déplacé hors du champ des polémiques, de même que son histoire: c’était un homme de gauche, intrinsèquement, compagnon de route des communistes. C’était un gaulliste d’obédience directe, sans autre médiation que l’amitié et l’écoute du Général, auréolé de Résistance (le commandement de la brigade Alsace-Lorraine en 1944) et de philosophie de l’art (du Musée imaginaire, en 1947, aux Voix du silence en 1951), même si la première était tardive et la seconde fumeuse.

Mais tout cela avait le goût de l’excès et surtout de la grandeur, et l’on sait que le bouillon de culture, en France, se déguste à cette sauce-là. Malraux fut le saucier le plus illustre de la gloire culturelle française, puisqu’il parvint toujours à rendre notre génie plus ou moins étriqué aussi large et envoûtant que l’univers de l’art dans son entier. C’est pourquoi l’action du ministère a été moins lyrique que le verbe du ministre. Il faut la relativiser: la culture ne vit pas alors un âge d’or, d’ailleurs elle demeure assez peu fortunée, entre 0,38% et 0,42% du budget total de l’Etat, et sera toujours en proie aux tracasseries des ministres des Finances et du budget.

S’il ne doit rester qu’une chose du ministère Malraux, qui vit encore mythiquement sur sa réputation, ce sont les Maisons de la culture. C’est dans ce cas, et dans ce cas seulement -puisqu’ici les murs s’appuient sur des fondations esthétiques cohérentes-, qu’on peut comprendre le sens de l’une des phrases les plus célèbres de l’homme des Antimémoires:

"La culture sera à notre époque ce que l’instruction publique fut à celle de Jules Ferry."

Cette prophétie, ce sont les Maisons de la culture qui ont voulu la réaliser au mieux, symbole et orgueil du nouveau régime. C’est une ressource, mais également un miroir aux alouettes: cette apologétique veut convertir le peuple à la culture par l’éclat des images, grâce au choc de la confrontation aux œuvres, dans un grand halo de scintillements et avec d’importants concours de foule, ce qui n’est pas sans rapport avec la culture de masse, mais souvent sans s’en donner les moyens.

Lang ou la séduction exagérée

Avec Jack Lang, tout fut culturel. Les arts, les lettres, le rock, la bande dessinée, la "culture" urbaine, un coup franc de Michel Platini, chaque idée du Président. Jack Lang pensait même que le gouvernement était composé de quarante-quatre ministres de la Culture. L’idiome culturel déborde les digues du langage, et envahit tout au cours des années 80, celles de Lang et de son efflorescence verbale, festive, créative. La Culture n’était plus seulement un ministère sectoriel, mais un centre de gravité autour duquel tout devait s’ordonner.

Si la France a été la première nation du monde démocratique à se doter d’un ministère des Affaires culturelles dès 1959, trente ans plus tard son budget s’est non seulement multiplié, mais sa dénomination même semblait s’être enflé à la mesure de ses certitudes et de sa puissance symbolique, pourvue de toutes les capitales désirées: ministère de la Culture, de la Communication, des Grands Travaux et du Bicentenaire…

Ce verbe lyrique nous paraît certes, avec le recul et l’ironie de l’histoire, quelque peu forcé et plutôt ridicule. Mais il faut songer à tout le mal qu’il a fait, quand ce vitalisme culturel s’est métamorphosé au cours des années 80 en une langue de bois parlée le plus naturellement du monde par les milieux de la culture officielle. Cette volonté de faire savoir et de faire voir s’est déversée en slogans de surexcitation culturelle, d’hypertrophie logomaniaque et de séduction exagérée. On a inventé la Fête de la musique, la Fureur de lire, la Ruée vers l’art, l’idée explosive de dynamiser les arts plastiques, le ministère du Bonheur, bientôt de l’Intelligence, et tout se devait d’être énorme sous la dictature du jamais vu et de la surenchère: Grand Louvre, Grande Arche, Grands Travaux, Très Grande Bibliothèque… Etat culturel et Etat séducteur marchaient ici main dans la main vers la lumière qui se levait à l’horizon.

Ces mots de passe du jargon ministériel sont devenus des clichés et des lieux communs qui ont doublé les réalisations effectives de la politique culturelle, qui pouvaient même s’en passer. Que la culture soit devenue un enjeu majeur dans l’art de gouverner, c’est un fait que et Malraux et Lang, chacun à leur manière, ont réussi à imposer.

Mais quid de la démocratisation de la culture? La croissance budgétaire de la politique culturelle, qui est indéniable, et est indéniablement le principal héritage des années Lang, a-t-elle contribué à étendre la culture de chacun? Là, il faut se rendre à l’évidence amère d’un constat d’échec: ironie d’une histoire qui passe par la baisse de la fréquentation dans tous les lieux de culture, concerts, cinémas, théâtres, bibliothèques, musées nationaux ou municipaux, alors même que les occasions de culture (le nombre de festivals, de livres, d’espaces d’expositions, de salles de concert, de films et de multiplexes cinématographiques, de Scènes nationales) ont significativement augmenté.

L’écartement des ciseaux semble inéluctable: un Français sur trois ne lit pas même un livre par an ; les deux-tiers ne sont jamais allés au théâtre ; enfin 85% de la population ne fréquente jamais un musée ni une exposition. Chaque étude du ministère de la Culture conclut à l’échec de la démocratisation, rien n’y fait. Ce qui explique sûrement le mouvement de fond en matière de culture au cours des années Lang: l’abandon progressif de la démocratisation culturelle (la culture pour tous) au profit de la démocratie culturelle (la culture de tous et par tous). Plutôt qu’aller vers la culture des autres, on cultive son propre jardin culturel. Syndrome ikea de la culture en kits: on est tous cultivé parce que toutes les cultures sont possibles, surtout la sienne. 100% de réussite promise, tous devant la télé…

Le triplement du budget de la culture n’a-t-il servi à rien? Désespérante question. C’est là l’effet pervers de la langue de Lang et de ses communicants: au bout de quelques années, ne reste que le dérisoire du verbe. Le ministre de la Culture en costume rétréci Sans Malraux, ni Lang, l’appellation fondatrice de ministère des affaires culturelles fluctue, soulignant que personne ne sait plus exactement ce qu’est une politique culturelle dans les hautes sphères de l’Etat.

Le défilé des locataires courte durée

L’hésitation est renforcée par la valse des ministres. On a tout essayé, grand commis de l’Etat, dandy cultivé, administrateur besogneux, femme journaliste en vogue, écrivain réactionnaire, homme politique de base, rien n’y a fait: le costume ministériel semblait toujours taillé trop grand pour le malheureux désigné ou volontaire puisque le patron avait été confectionné aux dimensions de Malraux. La rue de Valois voit ainsi défiler, depuis le départ de Malraux en mars 1969 : Edmond Michelet, André Bettencourt, Jacques Duhamel, Maurice Druon, Alain Peyrefitte, Michel Guy, Françoise Giroud, Michel d’Ornano et Jean-Philippe Lecat. Neuf locataires en douze années, le bail est de courte durée et personne n’en a rien retenu.

Ensuite, dès la fin des années Lang, la politique culturelle se replace hors de l’espace public. La culture était certes partout. Pas de plateforme politique, locale, régionale, nationale, sans son chapitre culturel. Mais ce n’était pas là où se gagnaient ni se perdaient les élections. Dans la France de la fin du XXe siècle et des débuts du XXIe siècle, la culture est partout, tout le monde en veut, tout le monde la revendique, mais son paradoxal triomphe marque surtout sa sortie de la controverse politique et son exclusion du choc des idées. Elle est surtout la marque d’un faire joli qui agrémente les programmes, s’étale sur des projets de papier glacé, un gibier de sujets consciencieux ou folkloriques pour journaux télévisés, la contre-partie artificielle aux offensives marketing de grande ampleur.

La culture échappera-t-elle désormais à ce destin de poule de luxe, supplément d’âme et vernis visuel pour événements médiatiques préfabriqués? Le 21 avril 2002 -quand Le Pen arrive au second tour de l’élection présidentielle-, installe durablement un temps de crise sur la culture française, celui du malaise larvé, du désarroi morose, de la fin de la croyance en l’efficacité des politiques culturelles, de la chute de prestige d’un ministère rétrogradé symptomatiquement en bas de liste dans le gouvernement Raffarin de 2002, avec l’expert Jean-Jacques Aillagon.

Cet arbitrage gouvernemental a dévoilé le médiocre intérêt porté à l’art et aux artistes, à la culture et à ses enjeux, par un pouvoir qui a certes promis beaucoup mais sans conséquence. D’ailleurs, ce même ministère n’était plus qu’une question de “casting”, et recommence une instabilité de la fonction dont la rue de Valois avait perdu l’habitude depuis la décennie 1970: en une douzaine d’années, se succèdent Toubon, Douste-Blazy, Trautmann, Tasca, Aillagon, Donnedieu de Vabres, Albanel, qui ont chacun bien de la peine à définir ce que peut être une politique culturelle possible, sinon cohérente et efficace, et tout autant de difficulté à bien s’entourer et à échapper à la malédiction des coupes budgétaires.

Ces années du tournant du millénaire sont celles de la mise en sommeil des discours politiques sur la culture, ou plutôt de leur gadgétisation, tandis que bien des objectifs de développement culturel et d’insertion de l’art dans l’espace social passent au compte des pertes et profits (des pertes surtout). La politique culturelle à la française, inventée sous Malraux, régénérée par Lang, s’est dissoute dans ce processus.

L’intervention de l’Etat dans la culture va-t-elle se limiter à un soutien public à l’économie de la vie artistique et culturelle? Ce désengagement ne serait pas illogique dans un temps d’humeur libérale et de désenchantement de la politique, où les enjeux économiques propres aux industries culturelles de masse semblent largement primer sur la réalité en berne d’une démocratisation culturelle dont tous les voyants sont au rouge en signe d’échecs répétés.

► Antoine de Baecque publie le 26 février "Crises dans la culture française. Anatomie d’un échec", Bayard.

Les commentaires sont, pour la plupart, à la hauteur de l'article et montrent une certaine prise de conscience, même si certains défendent leur bifteck:

C. Creseveur (scénariste) 10H48 21/02/2008

Il y a parfois du vrai dans ce que vous dénoncez Mr de Baeque, notamment dans le délire culturel qui faisait de tout et n'importe quoi du "foooormidable".

Mais vous ne pouvez pas dire que dans ce mouvement il n'y a pas eu de démocratisation de la culture.

Si toutes les fêtes que vous citez ne sont pas des événements populaires, que sont-elles?

Aussi avez vous mis les pieds dans les musées français avant les années 80? Avez vous fréquenté une bibliothèque avant les anées 80?

Et vous qui venez de la critique cinématographique, savez-vous ce que serait devenu le cinéma français sans les mesures salutaires prises par Jack Lang concernant son financement? (fonds de garanties / soficas / instaurations de quotas, etc.)? Qui auriez-vous eu à critiquer hors les films américains?

Pour ma part je tend à croire que dans le domaine culturel il vaut mieux un excès d'action, quitte à se faire critiquer par des gens comme vous, que rien du tout.

Ce n'est pas parce que ce n'est pas subventionné que je dois aimer. Mais c'est encore moins parce que j'aime que ça doit être subventionné !

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Le pire c'est que je vois bien Sarkozy user de la subvention "culturelle" à fond (c'est déjà un peu l'idée de la suppression de la publicité sur la télévision d'État). C'est de la pleurnicherie malheureusement sans fondement.

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Ce que j'aimerai savoir c'est si les gouts des liberaux purs et durs , vont uniformément vers la culture marchande made in USA .

C'est quoi, une culture marchande ?

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Inutile de le préciser, j'avais un peu deviné.

Ce que j'aimerai savoir c'est si les gouts des liberaux purs et durs , vont uniformément vers la culture marchande made in USA .

J'avoue beaucoup aimer de l'anglais. Surtout au niveau musical.

Honnêtement, peut-on aimer le cinéma français ? Y'a-t-il un seul genre ou domaine où il est meilleur que le cinéma américain ?

Idem au niveau de la littérature. Y'a-t-il un seul auteur potable en France ?

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Inutile de le préciser, j'avais un peu deviné.

Ce que j'aimerai savoir c'est si les gouts des liberaux purs et durs , vont uniformément vers la culture marchande made in USA .

Tu n'as qu'à vraiment lire ce qui est écrit dans La Taverne à l'égard de la musique, dans Lectures à l'égard de la littérature… etc. et tu verras que tu fantasmes complètement.

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Inutile de le préciser, j'avais un peu deviné.

Ce que j'aimerai savoir c'est si les gouts des liberaux purs et durs , vont uniformément vers la culture marchande made in USA .

Le truc c'est justement que, contrairement à la France, il n'y a pas une culture américaine. Je ne pense pas qu'on puisse trouver un seul autre pays au monde qui ait une offre culturelle aussi riche.

Donc cela n'a aucun rapport avec un quelconque atlantisme si, à part peut-être au niveau musical où j'apprécie également quelques groupes nordiques, anglais et allemands, mes références culturelles sont essentiellement américaines.

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Honnêtement, peut-on aimer le cinéma français ? Y'a-t-il un seul genre ou domaine où il est meilleur que le cinéma américain ?

Idem au niveau de la littérature. Y'a-t-il un seul auteur potable en France ?

Nouveau cas de Gadrelisation avancée diagnostiqué.

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Attristant de voir que la "démocratisation" de la culture fait toujours recette alors que ce concept douteux contient implicitement l'idée du "bon goût" qu'il faudrait répandre sur les masses ignorantes. Mais tout ça soigneusement caché sous une bonne dose de misérabilisme qui empêche la majorité des gens de discerner le profond mépris que cela révèle en réalité. Ami prolétaire imbécile, le formatage culturel public veille sur toi !

Et on se retrouve ainsi à vénérer les graandes oeuuvres, ou à subventionner les pires merdes sous prétexte d'encouragement à la création par un système qui masque en fait la prise de pouvoirs d'apparatchiks qui régente ce petit monde selon leurs goûts ou intérêts politiques.

Vu de l'intérieur je ne peux m'empêcher de penser que cette socialisation de la culture n'est capable en fait que de générer le marasme et la pénurie, comme pour le reste. Alors Sarkozy ou pas…

A ce sujet je conseille la la lecture de "De la culture en Amérique" par Frédéric Martel. Ca n'est pas une vision libérale, mais quand même…

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J'avoue beaucoup aimer de l'anglais. Surtout au niveau musical.

Honnêtement, peut-on aimer le cinéma français ? Y'a-t-il un seul genre ou domaine où il est meilleur que le cinéma américain ?

Idem au niveau de la littérature. Y'a-t-il un seul auteur potable en France ?

si, ya luc besson, jean jacques annaud … bref, ceux qui ont plus ou moins quitté la France, tout du moins, le cinéma français.

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Il fait quand même dans la vraie production. Le 5ème élément, j'ai aimé.

bon, son trip cités dernièrement, bof.

Banlieue 13 est le film le plus navrant que j'ai vu. Avec Ong Bak et le Transporteur peut être :icon_up: .

Bref Besson n'a jamais rien fait. Il n'y a que sur le 5ème élément qu'on peut tergiverser, pour savoir s'il est divertissant ou franchement puéril.

Puéril d'ailleurs me semble être le mot qui convient le mieux à l'oeuvre de Besson.

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Je ne peux pas te laisser dire ça :icon_up:

Les scènes de combat de Ong Bak sont vraiment excellentes (après, c'est du cinéma thaïlandais donc c'est sûr que certains trucs nous paraissent un peu kitsch).

Comme quoi je n'ai pas à t'imposer ma culture (pourtant bien supérieure :doigt: ).

C'est aussi pour éviter une tavernisation précoce !

Cela dit je ne vois pas pourquoi la culture devrait échapper à la loi qui fait que pour avoir de la qualité tu payes plus cher. C'est surement particulièrement vital la culture. Le ticket de cinéma, bourré de fibres, doit être un produit de première nécessité et son apport à long terme évite le cancer, donc des dépenses de l'assurance maladie. Il est urgent qu'un parti d'action et de décision comme l'UMP prenne les choses en main.

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