Aller au contenu

Les Racines De La Liberté


Patrick Smets

Messages recommandés

Je suis environ aux deux tiers de ce bouqin, et c'est vraiment passionnant.

Il devrait apporté du grain à moudre à tous ceux qui s'intéressent à nos débats actuels sur les liens entre libéralisme et conservatisme.

41qZkq8tTDL._AA240_.jpg

Présentation de l'éditeur

D'où vient le " modèle français " ? Et si cette synthèse aujourd'hui controversée entre libéralisme et républicanisme puisait ses racines lointaines dans un vieux combat oublié à propos de la liberté des Germains ? L'" antique constitution ", fondée au Ve siècle par les guerriers de Clovis statuant ensemble sur les affaires communes, serait la preuve d'une " liberté perdue " qu'il faudrait restaurer. Cette référence germanique a déjà inspiré la Glorieuse Révolution anglaise ; mais en France, l'affaire prend une autre tournure, déclenchant la première " guerre de mémoire " de notre histoire.

Jacques de Saint Victor montre que les " libertés " germaniques vont se diffuser largement à partir de 1750, notamment via Montesquieu. Ce discours devient le moyen de sortir de la fameuse " schizophrénie " culturelle de l'Ancien Régime entre exaltation pédagogique des Républiques antiques et soumission à la tradition monarchique. Nourrissant le premier débat " national ", il trouve sa consécration en 1788, quand les libertés germaniques deviennent " le patrimoine mythique de la nation tout entière ", et précipite la convocation des états généraux.

La Révolution en décidera autrement. Ce livre permet de mieux comprendre le contenu d'une expression galvaudée : l'exception française.

Biographie de l'auteur

Jacques de Saint Victor, historien des idées et critique littéraire. maître de conférences à Paris Vlll, a entrepris ses recherches historiques après avoir été dix ans journaliste au Figaro Economie. ll est l'auteur de plusieurs livres et collaborations, dont récemment Critiques des nouvelles servitudes (PUF, dir. Y-C. Zarka).

Disons le tout de go, le titre et le quatrième de couverture ne rendent pas justice au contenu. On sent le formatage marketing destiné à complaire le lectorat français. Nulle trace (avant la page 232 en tout cas) de "modèle" ou d'"exception française". Au contraire, cet ouvrage est une contribution nationale à un mouvement d'étude plus vaste entamé par l'historien Pocock.

De quoi s'agit-il ? Tout simplement d'analyser un courrant de pensée (qui touche en réalité toute l'europe mais qui n'est analysé ici que sous son angle français) des 17ème et 18ème siècle qui s'oppose, à la fois, à l'absolutisme royal et au libéralisme naissant. Il s'agit d'une réflexion non-libérale sur la notion de liberté qui constitue le fondement de la pensée conservatrice, pensée que je croyais n'émerger qu'en 1800-1850 mais qui prend en fait naissance presque deux siècles plus tôt.

Cette pensée va naitre à l'occasion de la conjonction de trois évenements historiques proches, lla fronde (1650) et les deux révolutions anglaises (1640 et 1688).

La fronde est un moment essentiel de l'histoire française, parce qu'elle va conduire par réaction à l'absolutisme royal de L14. Vu le danger que peut représenter pour le trône la puissance de la noblesse, Richelieu puis L14 mettent en place un système qui contourne totalement cette noblesse. Ils centralisent la gestion de l'Etat et la confie à des ministres bourgeois, relayés en province par des intendants. La noblesse se voit donc couper de son pouvoir traditionnel et se transforme en courtisanerie, choyée mais castrée. De plus, s'installe la pratique de la vénalité des charges qui permet aux bourgeois enrichis de pénétrer dans le corps social des nobles.

La (heute) noblesse perd donc de son influence, en même temps qu'elle commence à s'inquiéter pour la survie de la monarchie. La première révolution anglaise, et la dictature de Cromwell qui s'en est suivie, est vue comme une conséquence de l'absolutisme royal en Angleterre. Ils craignent qu'un phénomène pareil ne se produise en France si l'absolutisme se renforce. C'est donc au sein de la noblesse que va naître une réflexion sur l'origine du pouvoir royal et sur la "liberté".

L'auteur suit le développement de cette réflexion à travers trois auteurs majeurs, Fénélon, Boulainvilliers, Montesquieu et quelques autres moins importants (à mon sens). Je ne connaissais les deux premiers que de noms et je découvre donc leur pensée avec intérêt. Quant à Montesquieu, l'éclairage qu'il apporte est tout à fait passionnant et révèle des aspects de l'oeuvre habituellement passés sous silence.

En gros, avec des nuances personnelles que je ne détaillerai pas, ces trois auteurs suivent la même logique. Une double opposition aux théories de la monarchie de droit divin et au libéralisme naissant.

Face à la prétention purement monarchique (cad gouvernement d'un seul) et à ses tendances tyranniques, ils vont chercher dans l'histoire la preuve du partage du pouvoir. Alors que la royauté se prétend descendante des empereurs romains, ils rétablissent l'origine germanique des français. En envahissant le Gaule, soumise à la tyrannie impériale, les Francs ont apportés leurs institutions de liberté. Le roi était élu par les guerriers et ceux-ci se réunissaient annuellement pour lui réitérer son soutien. L'origine de la souveraineté est donc dans le peuple. On s'entend, le peuple germain qui donnera la noblesse, et pas le peuple gallo-romain, envahi et donc sans droits, qui a donné le tiers-états. Ils recherchent donc dans le passé les modes de gouvernement qui ont permis de maintenir ces libertés franques. Ce sont eux qui réhabilitent l'idée des Etats Généraux qui étaient tombés en désuétudes. Pas besoin de vous faire un dessin quant à l'avenir de cette idée…

L'élément le plus intéressant dans cette démarche me semble l'idée que l'histoire fait le droit. C'est au nom du passé qu'on peut justifier une prétention et les évolutions "récentes" (depuis le 13ème) sont considérées comme des trahisons au contrat passé entre le roi et son peuple. Et ils appellent au redressement des corps intermédiaires comme garant de la limitation du pouvoir royal.

En ce sens, le conservatisme naissant s'oppose explicitement au libéralisme. Fénélon critique aprement la logique lockéenne. L'idée que les droits peuvent résider dans des individus vivants à l'état de nature est pour lui une chimère porteuse des plus grands dangers, à savoir, l'anomie (ben tiens ! :icon_up:) et la réduction de la morale à un simple échange marchand. En opposition avec nos trois auteurs conservateurs, on retrouvera toujours un autre trio incarnant à leurs yeux la mauvaise face de la modernité, Locke, Mendeville et Smith. Au niveau français, cette opposition théorique s'accomplit dans une opposition politique aux physiocrates, à Turgot, etc. Bien qu'elle transparaisse en permanence, l'auteur n'approfondit pas ces oppositions théoriques avec le libéralisme parce qu'il se centre plutot sur l'opposition à l'absolutisme. Cependant, il aborde les conflits politiques, mettant en évidence le fait que les libéraux sont en fait mieux disposés à l'égard de l'absolutisme royal qu'ils pensent capable de mettre en place les réformes économiques qu'ils souhaitent et de garantir l'égalité de droit entre les personnes, alors que la théorie historique tend à rétablir les privilèges de classes et à subordonner les intérêts économiques aux nécessités politiques.

A partir de 1770, partie que j'aborde, tout devient beaucoup plus confus avec de très nombreux réalignements amenant les conservateurs à faire alliance avec les Rousseauistes contre le despotisme légal des libéraux et monarchistes. Je vous en dirai plus qu'en j'aurai progressé dans la lecture et un peu mieux cerné le problème.

Quelques limites du bouquin (qui fait déjà 300 pages, on peut comprendre que ca n'y soit pas)

1) je l'ai dit, les rapports avec l'idéologie libérale ne sont pas assez détaillés à mon gout et l'auteur a un peu trop tendance à appeler "libéral" tout ce qui a rapport à la liberté.

2) l'auteur se limite trop au cadre français. Dans l'intro, il explique qu'il participe à l'enrichissement de l'oeuvre de Pocock, mais je trouve qu'il aurait pu développer un peu celle-ci pour les lecteurs qui ne la connaissent pas. Je sais déjà quel est le prochain historien que je vais lire.

3) C'est un ouvrage d'histoire des idées, mais, vu l'importance des enjeux politiques à cette époque, il aurait été bon d'un peu plus développer les guerres de "parti" qui se jouent et qui conditionnent le développement de la pensée en question. Par exemple, on comprend mal l'influence des Jansénistes. D'évidencze, la pensée conservatrice nait dans le clan catholique anti-janséniste mais, un siècle plus tard, il semble qu'elle soit utilisée par les Jansénistes face aux Jésuites dont on ne comprend pas bien le positionnement.

4) Enfin, les sousbassements religieux des différents courrants ne sont pas clair, hormis au tout début. Il y a une très belle analyse des causes "métaphysiques" de l'oppositon entre le libéralisme protestant (et janséniste ???)et la pensée catholique de Fénélon. Dans la vision pessismiste des jansénistes, partagée par les protestants (si j'ai bien compris), l'homme est mauvais, habité de passions corruptrices et incontrolables. Cette vision très pessimiste va, en fait, être mise au service du développement de l'individualisme marchand. Puisqu'il n'y a que de villes passions, essayons de jouer sur celles-ci pour assurer la stabilité sociale, hors, la moins mauvaise, parce que la plus rationnelle, est la passion du lucre. Laissons les hommes s'adonner au commerce et à la recherche du profit et l'on obtiendra la société la meilleure possible (thèse de Mendeville et Smith). Au contraire, Fénélon, chef de file des "dévots", pose une vision optimiste de la nature humaine capable d'une vrai noblesse de sentiment. C'est donc la vertu qui doit être exaltée pour le bien de la société et l'appat du gain n'est certainement pas une vertu. On ne retrouve malheureusement pas ce genre de rapprochement entre politique et foi dans la suite de l'ouvrage. On ne trouve pas non plus trace du poid de la Franc-maçonnerie naissante dans cette pensée conservatrice, alors qu'à toutes les pages, on croise les noms des premiers franc-maçons français tel que le chevalier de Ramsay, secrétaire particulier et héritier spirituel de Fénélon, ou les "amis anglais" de Montesquieu.

Lien vers le commentaire
  • 2 weeks later...
Putain !!! C'est vraiment trop difficile de faire un titre de fil qui reprend exactement le titre du bouquin dont on parle !!!

Bah ! Il suffisait de faire une recherche sur "Saint-Victor"…

Et merci aussi pour le commentaire sur son livre.

Lien vers le commentaire

Je trouve la fin du livre un peu décevante.

L'auteur s'efforce de suivre son courant de pensée jusqu'à la révolution alors qu'il semble avoir disparu aux alentours de 1750-1760. En pratique, il ne parvient plus à présenter que quelques traces de pensée conservatrice au sein du discour rousseauiste. Je trouve qu'il est un peu complaisant en ne parlant que de la coccinelle sur le dos de l'éléphant et puis en s'étonnant que ce n'est pas la coccinelle qui décide du trajet.

Mais dans l'ensemble, ca reste un très bon livre.

Lien vers le commentaire

Archivé

Ce sujet est désormais archivé et ne peut plus recevoir de nouvelles réponses.

×
×
  • Créer...