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Une Certaine Idée Du Libéralisme


Serge

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… trouvée dans Le Figaro.

Jacques de Saint-Victor - Un essai ambitieux qui explore les origines du discours de la liberté en France avant la Révolution.

Par Ran Halevi.

Publié le 10 mai 2007

LE DISCOURS de la liberté politique en France est né sous la monarchie absolue. Mais c'est un discours pluriel qui n'a cessé d'évoluer, de s'infléchir et de s'enrichir. Les historiens ont souvent étudié les auteurs, célèbres ou méconnus, qui s'étaient efforcés, entre le règne de Louis XIV et le règne de Louis XVI, de concevoir une « pensée libérale » du pouvoir. Mais ils ont rarement tenté d'en retracer l'histoire intellectuelle. Tel est l'objet ambitieux, et réussi, du livre de Jacques de Saint-Victor. Nourri de nombreuses lectures, cet essai possède la qualité plutôt rare de marier la profusion du savoir à la clarté de l'expression qui en fait le charme : M. de Saint-Victor sait parler simplement de choses passablement compliquées.

Les promoteurs de la « critique libérale » dont il interroge les racines ne sont ni des marginaux ni des dissidents : Fénelon, Boulainvilliers, Saint-Simon ont tous vécu dans la proximité de la Cour avant de prendre leur distance ou d'en être éloignés. Tous partagent, au crépuscule du Grand Règne, l'inquiétude devant la dérive absolutiste de l'autorité monarchique, qu'ils cherchent à conjurer en associant la noblesse à l'exercice du pouvoir. Leur opposition est à la fois libérale et aristocratique. Et si les remèdes qu'ils méditent ne se recoupent pas toujours, leur réflexion puise dans un terreau commun : c'est l'histoire lointaine de la royauté, ce sont les « libertés germaniques » nées de la conquête franque du Ve siècle, qui fondent leur idée d'une monarchie tempérée ou «limitée».

Récit des origines

Le passé national leur offre plus qu'un réservoir d'expériences utiles : il est l'arbitre, l'instance de légitimation, de toute revendication politique. Et ce qu'il enseigne, écrit Boulainvilliers qui en donne l'interprétation la plus élaborée, c'est que l'invasion de la Gaule par les guerriers francs aurait produit une « constitution libre » où ces hommes fiers et sans malice gouvernaient au côté du roi dans les premières assemblées de la nation, les fameux champs de Mars et de Mai. Clovis et ses descendants ont beau chercher à les soumettre, la liberté française survit néanmoins sous Charlemagne et s'épanouit au XIVe siècle, avant de s'évanouir : sous Louis XI elle est déjà éteinte. Le reste n'est qu'une succession d'usurpations royales qui vont culminer sous le règne « despotique » de Louis XIV. À ce récit des origines qui érige la noblesse en rempart des libertés sera opposée la thèse « royale » qui nie la réalité de la conquête, dément l'existence des « libertés germaniques » et reconnaît à la monarchie dès l'origine un caractère absolu.

Avec la publication de L'Esprit des lois au milieu du siècle, cette première « guerre des mémoires » semble tranchée en faveur des thèses germaniques. Mais la grande contribution de Montesquieu est d'exposer à ses contemporains deux modèles de liberté politique : la « liberté modérée » du régime monarchique et la « liberté extrême » incarnée par la Constitution d'Angleterre. Jacques de Saint-Victor analyse l'usage de plus en plus radicalisé, et détourné des principes du gouvernement monarchique déposés dans L'Esprit des lois. Avant que 1789 ne redonne une actualité inédite au modèle anglais que les premiers révolutionnaires « monarchiens » voudront vainement adapter en France : l'abbé Sieyès l'emporte à l'Assemblée constituante qui consacre la rupture avec tout héritage et tout modèle.

En quelques décennies, la France est ainsi passée d'une guerre des mémoires à une guerre des principes dont nous ne sommes pas tout à fait sortis. Le mérite de ce livre est d'explorer toute la diversité des expressions que prend pendant cette époque agitée le discours de la liberté : de Turgot qui veut mettre la monarchie au service du libéralisme économique et d'une politique de la raison, aux promoteurs prérévolutionnaires du principe de la souveraineté nationale, en passant par Mably qui mobilise à son tour le récit des origines pour plaider une « révolution ménagée » puisant son inspiration dans un « républicanisme classique » où se mêlent les références antiques et les traditions nationales.

Il est un fil que Jacques de Saint-Victor cherche à retrouver tout au long de l'ouvrage : ce sont les traces éparses d'une « tradition civique » méconnue. Elle opposerait à l'héritage individualiste du libéralisme économique de type anglais un idéal civique - nobiliaire, parlementaire, démocratique - qui cherche à concilier le pouvoir et la liberté par la citoyenneté. Serait-ce un trait commun souterrain d'une certaine pensée française de la liberté ? Telle est la voie originale que cet ouvrage propose d'ouvrir.

Les Racines de la liberté. Le débat français oublié, 1689-1789 de Jacques de Saint-Victor Perrin, 355 p., 21,50 €.

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Quelques notes en passant:

Il est intéressant de voir, à travers ce livre, comment l'idée de liberté a été justifiée par un recours à un passé (certes reconstruit) plutôt que par la notion de progrès. Se pose aussi la question des divergences entre Révolution anglaise et Révolution française. L'auteur rappelle au passage que les concepteurs habituellement cités et loués du libéralisme français (Boisguilbert, physiocrates, etc.) étaient partisans d'un despotisme éclairé, voire de l'absolutisme tout court. A côté de cette école, on trouve pourtant d'autres penseurs de la liberté, dont Fénelon est une figure marquante, plus soucieux de limiter comme tel le pouvoir royal. Des solutions furent avancées, telle l'expérience de la polysynodie sous la Régence.

Un épisode intéressant, que j'ai trouvé en fin de volume, est l'opposition de Turgot à la Révolution américaine, parce qu'elle s'appuyait sur le bicamérisme et le check and balances. John Adams répliqua à Turgot dans un essai important défendant les principes américains. Il y opposait l'esprit de système français aux leçons de l'histoire et de l'expérience "seule source des connaissances humaines". Les disciples de Turgot (Condorcet, Dupont de Nemours, etc.) mirent tout en oeuvre pour empêcher la parution en France de ce livre. Curieux comme les révolutionnaires libéraux français pratiquaient la censure (voir aussi le caviardage infligé par Mirabeau à l'Areopagitica de Milton quand les questions religieuses sont abordées), non ?

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L'auteur rappelle au passage que les concepteurs habituellement cités et loués du libéralisme français (Boisguilbert, physiocrates, etc.) étaient partisans d'un despotisme éclairé, voire de l'absolutisme tout court. A côté de cette école, on trouve pourtant d'autres penseurs de la liberté, dont Fénelon est une figure marquante, plus soucieux de limiter comme tel le pouvoir royal. Des solutions furent avancées, telle l'expérience de la polysynodie sous la Régence.

Ce n'est pas ce que l'on découvre dans le Nemo/Petitot :icon_up:

Un épisode intéressant, que j'ai trouvé en fin de volume, est l'opposition de Turgot à la Révolution américaine, parce qu'elle s'appuyait sur le bicamérisme et le check and balances. John Adams répliqua à Turgot dans un essai important défendant les principes américains. Il y opposait l'esprit de système français aux leçons de l'histoire et de l'expérience "seule source des connaissances humaines". Les disciples de Turgot (Condorcet, Dupont de Nemours, etc.) mirent tout en oeuvre pour empêcher la parution en France de ce livre.

Ce n'est pas ce que l'on découvre dans le Nemo/Petitot :doigt: (bis)

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Ce n'est pas ce que l'on découvre dans le Nemo/Petitot :icon_up:

Ce n'est pas ce que l'on découvre dans le Nemo/Petitot :doigt: (bis)

Pour l'absolutisme, fût-il relatif, de Boisguilbert et des physiocrates, il en est question dans le livre d'André Jardin sur l'histoire du libéralisme politique en France.

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:icon_up: ah je dois te reprendre RH les physiocrates n'étaient pas partisans du despotisme éclairé mais du despotisme légal qui est très différent : lire ceci.

Oui, mais dans les faits, cela revient au même (cf. d'ailleurs le "… pour dissiper l'ignorance" dans la définition livrée par Dupont de Nemours). J'en avais parlé dans l'article du WL sur Le Mercier de la Rivière, si je me rappelle bien.

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Oui, mais dans les faits, cela revient au même (cf. d'ailleurs le "… pour dissiper l'ignorance" dans la définition livrée par Dupont de Nemours). J'en avais parlé dans l'article du WL sur Le Mercier de la Rivière, si je me rappelle bien.

Dans les faits ça ressemblerait énormément à une anarcapie, le despotisme légal consistant à abolir toutes les libertés politiques collectives. Notons aussi que la famille intellectuelle est étrangère à celle du despotisme éclairé à la Voltaire.

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:icon_up: ah je dois te reprendre RH les physiocrates n'étaient pas partisans du despotisme éclairé mais du despotisme légal qui est très différent : lire ceci.

Tout ceci rappelle - ou préfigure, c'est selon - fâcheusement le "despotisme de la liberté" de Robespierre.

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A mon sens, cette opposition que tu établis est très artificielle. Et je ne vois pas vraiment le rapport avec l'anarcho-capitalisme, hormis l'intérêt pour la liberté économique la plus grande possible, évidemment.

L'opposition n'est pas de moi, je l'ai d'abord rencontrée chez Bertrand Nézeys, un professeur libéral d'économie, puis chez un autre professeur bien gradé et last but not least par Elvin de wikipedia, qui est un traducteur officiel de Mises en français.

Tout ceci rappelle - ou préfigure, c'est selon - fâcheusement le "despotisme de la liberté" de Robespierre.

L'expression "despotisme légal" est décidément trompeuse. Penses-tu que Robespierre était prêt à soumettre ses décisions au jugement des tribunaux ? à ne jamais agir en justice (puisque seuls les individus devraient pouvoir le faire) ? à considérer la propriété et la concurrence comme naturelles ?

Le despotisme légal© c'est l'état de droit sans la volonté politique. Robespierre c'est la perversion de Rousseau et Montesquieu : il prend au premier la souveraineté populaire dont celui-ci interdisait un fonctionnement par représentation, et au second la représentation mais en liquidant les nécessaires corps intermédiaires ou contre-pouvoirs.

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L'opposition n'est pas de moi, je l'ai d'abord rencontrée chez Bertrand Nézeys, un professeur libéral d'économie, puis chez un autre professeur bien gradé et last but not least par Elvin de wikipedia, qui est un traducteur officiel de Mises en français.

Le despotisme légal prôné par les physiocrates n'est pas une vue de l'esprit, exprimant maladroitement la notion (juste) de souveraineté de la loi. Saint-Victor explique ainsi:

Le Mercier de la Rivière ou Quesnay vont très loin: au nom de "l'ordre naturel", Quesnay fait, par exemple, l'apologie du pouvoir sans partage des rois Incas du Pérou ou de l'empereur de Chine.

Ensuite, qu'il soit donc voulu par eux comme non arbitraire, je ne dis pas le contraire, mais il se présente quand même comme une branche du despotisme éclairé, dans la mesure où le peuple devra être éclairé, extrait de l'ignorance.

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  • 1 month later...

Pour info, l'auteur sera reçu par la sympathique Euro 92 :

MERCREDI 27 Juin 2007

Au 126, rue de l’université 75007 Paris - inscrivez-vous avant le 27 Juin, midi

Quelle est l’origine du modèle français ? La synthèse entre libéralisme et républicanisme puise-t-elle ses racines lointaines dans un vieux combat oublié à propos de la liberté des Germains ? L « antique constitution », fondée au Vè siècle par les guerriers de Clovis statuant ensemble sur les affaires communes, serait la preuve d’une « liberté perdue » qu’il faudrait restaurer. Cette référence germanique a déjà inspiré la Glorieuse Révolution anglaise ; mais en France, l’affaire prend une autre tournure, déclenchant la première « guerre de mémoire » de notre histoire.Jacques de SAINT VICTOR, historien des idées et critique littéraire, auteur du livre « Les racines de la liberté Le débat français oublié 1689-1789 » publié aux éditions Perrin, montre que les « libertés » germaniques vont se diffuser largement à partir de 1750, notamment via Montesquieu. En 1788, les libertés germaniques deviennent « le patrimoine mythique de la nation tout entière » et précipite la convocation des états généraux. La Révolution en décidera autrement. Ce livre permet de mieux comprendre l’expression « exception française ».

Il nous exposera ce débat, qui sera animé par notre ami l’historien Antoine CASSAN

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