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Colorado Springs face à la crise


Metropolis

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Bonjour,

L'article ci dessous est loin d'être impartial et reste assez réducteur.

Quelqu'un aurait il de plus amples informations sur le cas Colorado Springs ?

Enquête

Le bastion anti-impôts de l'Amérique

LE MONDE | 05.04.10 | 16h24 • Mis à jour le 05.04.10 | 16h25

Colorado Springs (Colorado), envoyée spéciale

Comme dit Dennis Raphael, il y a deux manières de présenter les gens de Colorado Springs. "Comme des types de droite complètement cinglés. Ou comme des citoyens que les déficits et l'incompétence du gouvernement inquiètent." Dennis Raphael est médecin anesthésiste à l'hôpital. Personnellement, il se classe plutôt dans la deuxième catégorie, quoiqu'il comprenne bien que l'on puisse en juger autrement, d'autant qu'il soutient le lobby des armes à feu et que trône un mouflon entier (empaillé) au-dessus de sa cage d'escalier.

Cinglés ou pas, le résultat est là. La ville de Colorado Springs est en crise. Les finances accusent un déficit de 28 millions de dollars (soit plus de 10 % du budget) et la municipalité a commencé à réduire les services fournis aux administrés. Plus de poubelles dans les parcs, plus de fleurs dans les espaces verts, plus de bus après 18 heures, ni le week-end… Les deux hélicoptères de la police ont été mis aux enchères sur eBay. Dans les rues, des ouvriers décrochent les ampoules : fin mars, 8 000 lampadaires ont été éteints, soit un sur trois. Les quatre centres sociaux doivent fermer au printemps. Et cet été, les jardins publics les moins fréquentés ne seront pas arrosés. "On espère que Mère Nature compensera", explique Sean Paige, un conseiller municipal.

La ville (380 000 habitants) est victime de la récession, et certains disent de ses démons. En trois ans, la taxe sur les ventes - qui représente plus de la moitié des recettes - a diminué de 22 millions de dollars. Pour équilibrer le budget, le conseil municipal avait proposé d'augmenter l'impôt foncier, mais les électeurs ont refusé à une forte majorité (68 %). A Colorado Springs, la culture s'oppose à l'impôt.

Au pied des Rocheuses, la ville est l'un des hauts lieux des "libertariens", le mouvement en expansion sur la scène politique, l'ancêtre de ces Tea Parties dont l'émergence a placé le rôle et la taille du gouvernement au centre du débat pour les élections générales de novembre. "Les gens de gauche pensent que la qualité de la vie dépend de la grandeur du gouvernement. Ici, c'est le contraire", explique Sean Paige. A gauche, l'heure est plutôt aux ricanements. Le "bastion anti-taxes de l'Amérique" croule sous les déficits… "Cela montre à quoi ressembleraient les Etats-Unis si les conservateurs arrivaient à leurs fins", estime le chroniqueur David Sirota.

Douglas Bruce est l'un des chefs historiques de la croisade anti-impôts. Ancien procureur à Los Angeles, il a démissionné au début des années 1990 "dégoûté par l'état du système judiciaire", et il s'est installé dans le Colorado. Depuis, il joue les justiciers. "Mais maintenant c'est le gouvernement que je poursuis." En 1992, il a réussi à faire inscrire dans la Constitution de l'Etat une "déclaration des droits du contribuable" qui interdit d'augmenter les impôts sans l'approbation des -électeurs.

Adopté par référendum, cet amendement (dit Tabor, acronyme de Taxpayers Bill of Rights) limite la croissance des revenus publics et impose la redistribution des excédents. Pendant les années fastes, le Colorado a été l'un des Etats où l'on payait le moins d'impôts. En période de récession, les collectivités locales sont étranglées. La méthode a fait école dans une vingtaine d'Etats, et Douglas Bruce est aujourd'hui considéré comme un "pionnier" par le Club for Growth et le Cato Institute, les maîtres à penser des Tea Parties, pour avoir mis au point ce qui reste "le frein le plus efficace à ce jour à l'expansion du gouvernement".

A 60 ans, Douglas Bruce ne craint pas de se rendre désagréable. Il a donné rendez-vous au restaurant "Chez Mimi" devant un petit déjeuner de "French toasts" et oeufs au plat. "Et la note sera pour votre journal socialiste", a-t-il aimablement précisé. Sur le parking, sa voiture, une vieille Cadillac Eldorado noire, est dotée d'une plaque minéralogique "Mister Tabor" qui lui a coûté 350 dollars. Sa carte de visite porte la mention "Freedom Fighter" ("combattant de la liberté"). Et son porte-clefs, une vignette de "personne certifiée cinglée". Un héritage de sa mère, explique-t-il. "Elle ne faisait pas de politique, mais elle avait sa propre version de l'excentricité."

Mister Tabor se contrefiche de la fermeture des lignes de bus. Le transport devrait être du ressort du privé. "Pourquoi les bus sont-ils subventionnés par 100 % de la population alors qu'ils sont utilisés par 2 % ?", interroge-t-il. "J'appelle tout cela de la redistribution de richesses. Et d'où cela vient-il ? De Marx." Même logique pour la culture. "Pourquoi le gouvernement s'occupe-t-il de notre culture ? Ils n'en ont pas la moindre idée, de notre culture !" Quant aux mères qui vont se retrouver sans crèche municipale, les Pères fondateurs n'ont malheureusement pas pensé à elles. "La Constitution prévoit un droit à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur. Pas un service gratuit de baby-sitters."

Pour régler le problème de déficit, il suffirait, selon lui, de vendre l'hôpital municipal, de privatiser l'aéroport et de réduire les avantages sociaux des employés municipaux. Lui-même n'a pas d'assurance médicale. "Trop cher. Et la raison pour laquelle c'est si cher : parce que le gouvernement s'en mêle." Le procureur a fait ses calculs. "Je ne fais pas de ski. Je porte ma ceinture de sécurité. Je n'ai pas d'antécédents familiaux. Tous les trois ou quatre ans, je m'assure que je n'ai pas de cancer…" Idem pour l'assurance auto. "Je ne souscris que pour les dommages corporels. Pour les collisions, soit je suis en tort et je paie, soit je poursuis ceux qui me sont rentrés dedans."

Tout "anti-big government" qu'ils soient, les habitants de Colorado Springs n'ont pas été enthousiasmés par la cure d'amaigrissement budgétaire (d'autant que la ville a quand même promis 53 millions de dollars au Comité olympique pour des nouveaux locaux). Les coupes dans l'éclairage des rues (économie : 1,2 million de dollars) sont jugées assez largement futiles. "C'est une manière de lutter contre le changement climatique", disent certains, avec un gros clin d'oeil, pour montrer qu'ils font partie de ceux qui savent bien que "le réchauffement n'existe pas".

Mais les protestations ont été suffisantes pour que la mairie lance un service à la carte : "Adoptez un réverbère". Il suffit de payer 75 dollars (180 dollars s'il s'agit d'une grande artère) pour obtenir le rétablissement de l'électricité devant chez soi (le poteau est alors marqué d'un ruban bleu).

Pour les libertariens, comme Sean Paige, la crise fournit une occasion rêvée de mettre en pratique leurs théories sur le gouvernement. "Faisons une expérience. Essayons un nouveau modèle. Est-ce que les gens s'intéressent aux services sociaux seulement quand c'est le gouvernement qui s'en occupe ? Ou est-ce qu'ils sont prêts à payer de leur personne, dit-il. La bataille pour la liberté commence dans notre -propre jardin."

Sean Paige a commencé sa carrière comme rédacteur de dépêches à la Maison Blanche, sous George Bush (père) et, pendant trois ans, il a été le chroniqueur "fraude et gabegie" du Washington Times, le quotidien ultraconservateur de la capitale. Il se décrit comme plutôt modéré. Un libertarien "réaliste". "Je ne suis pas pour la légalisation de toutes les drogues ni pour la privatisation de toutes les routes", dit-il. Cela dit, il ne verrait aucun inconvénient à supprimer le ministère de l'éducation et celui de l'énergie, qui a de toute façon été "créé sous Carter". Ministère ou pas, "il y aura toujours de l'énergie", ce qui est bien la preuve qu'on peut s'en passer…

Le modèle libertarien en question serait un gouvernement hybride "public, privé et ONG". Les hommes d'affaires ont monté une "task force" ("délégation spéciale") pour apprendre à la municipalité à gérer son porte-monnaie. Pas compliqué. Il suffirait de privatiser le déneigement, l'entretien des routes, la paie, la gestion du parc automobile. Limiter le nombre des 2 200 fonctionnaires "qui bénéficient de cotisations retraite et coûteront encore à la municipalité dans vingt à trente ans", comme dit Sean Paige.

Loin des utopies libertariennes, il suffit de se rendre à Westside, dans un vieux quartier de maisons victoriennes, pour prendre la mesure du décalage. On y trouve l'un des quatre centres sociaux menacés de fermeture, alors qu'ils fournissent des activités à plus de 50 000 personnes par an. Fermer fera économiser 1,6 million de dollars, mais "on risque de voir encore plus de rébellion parmi les adolescents, si tant est que ce soit possible", craint Tom Gallagher, un conseiller municipal qui a voté contre la fermeture. Les seniors du club du quatrième âge finissent le repas qui leur est servi tous les jours par Michelle Martinez, l'unique employée encore présente.

Brian Kates, le directeur du centre, fait et refait ses comptes. Il a déjà sa feuille de licenciement en poche, bien qu'il ait accepté une réduction de salaire de 10 % et une double charge de travail. Perplexe, il essaie de s'ajuster au nouveau paradigme. "Comment on se redéfinit alors que le centre est subventionné à 90 % et que les trois quarts des usagers vivent sous le seuil de pauvreté ?" Des bénévoles ont commencé à remplir les emplois supprimés. Une église s'est proposée. "Mais serait-elle ouverte à tout le monde ?" Brian Kates se retrouve à expliquer le b.a.-ba de l'action publique : justice, impartialité… Un collectif de défense s'est créé pour sauver les centres sociaux.

Frénétiquement, les militants organisent des kermesses et des concerts de soutien. En trois mois, 10 000 dollars ont été réunis, loin des 420 000 nécessaires pour échapper au couperet. Comme ses collègues, Michelle Martinez essaie de collecter l'argent qui permettra de sauver son emploi d'assistante sociale. En vertu du nouveau "modèle", elle fait du bénévolat dans un restaurant en espérant que les consommateurs auront le pourboire généreux et que quelqu'un la ramènera chez elle, puisque les bus ont été supprimés.

Corine Lesnes

Article paru dans l'édition du 06.04.10

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  • 4 weeks later...

Travers très français : l Etat doit s'occuper de tout. Je rêverais que des libertariens se fassent élire dans certaines villes et au Congres. Pour l'instant il n y a qu un seul qui le soit au congres espérons que ça change !

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Ce sont les mêmes qui disaient que Maggie Thatcher serait battue par son adversaire travailliste dans les années 1980. L'objectivité n'est pas leur fort. On est loin d' un journal comme le NY Times.

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