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Irak


L'affreux

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Je reviens du café liberté et j'ai halluciné. Jacques de Guenin m'a soutenu que les USA ont fait la guerre pour délivrer le peuple irakien de la tyrannie de Saddam Hussein. Xavier m'a dit que 80% de la population vit désormais en paix car les conflits sont concentrés juste à Bagdad. On m'a dit que les armes de destruction massive n'étaient pas une invention, les gouvernements américains et anglais pensaient vraiment, en toute bonne fois, qu'elles existaient et qu'elles menaçaient Israël. On m'a dit que le pétrole est accessoire…

L'Irak serait donc un bon exemple d'une guerre menée et réussie pour défendre un peuple injustement soumis.

Je dis "un bon exemple", car il y en aurait eu d'autres : à ma question de quels sont les pays dont une "délivrance" d'un gouvernement autoritaire par la force s'est traduite par de la paix, on m'a répondu le Japon et la France à la fin de la 2ème guerre mondiale. Là ça m'a cloué le bec, j'avoue. Je n'ai même pas eu la répartie d'expliquer la différence entre une occupation étrangère (qu'un deuxième étranger peut effectivement virer) et un dictateur (qui pose la question de pourquoi était-il là et comment le remplacer), et puis je me demande bien de qui le Japon a été délivré.

Bon bon bon, qui a des infos ?

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Jacques de Guenin m'a soutenu que les USA ont fait la guerre pour délivrer le peuple irakien de la tyrannie de Saddam Hussein.

Oui, Jacques de Guénin n'a jamais caché son soutien à la politique de Bush, ce n'est pas une nouveauté.

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Ce serait pas mal de contre-argumenter si c'est si clair :

a - les USA ont fait la guerre pour délivrer le peuple irakien de la tyrannie de Saddam Hussein.

b - Xavier m'a dit que 80% de la population vit désormais en paix car les conflits sont concentrés juste à Bagdad.

c - On m'a dit que les armes de destruction massive n'étaient pas une invention, les gouvernements américains et anglais pensaient vraiment, en toute bonne fois, qu'elles existaient et qu'elles menaçaient Israël.

d - On m'a dit que le pétrole est accessoire…

Le d est à peu près clair : vu le coût de cette guerre, c'est une très très mauvaise opération économique,même à penser que le gouvernement US mettrait la main sur toutes les réserves irakiennes.

Le a c'est subjectif, mais ce doit entrer en ligne de compte.

Le b : apparemment tout est consacré dans un triangle partant de Bagdad et Tikrit, plus une troisième ville. A confirmer, ça fait longtemps que je ne m'y intéresse plus.

Le c: à voir.

L'Irak serait donc un bon exemple d'une guerre menée et réussie pour défendre un peuple injustement soumis.

Je dis "un bon exemple", car il y en aurait eu d'autres : à ma question de quels sont les pays dont une "délivrance" d'un gouvernement autoritaire par la force s'est traduite par de la paix, on m'a répondu le Japon et la France à la fin de la 2ème guerre mondiale. Là ça m'a cloué le bec, j'avoue. Je n'ai même pas eu la répartie d'expliquer la différence entre une occupation étrangère (qu'un deuxième étranger peut effectivement virer) et un dictateur (qui pose la question de pourquoi était-il là et comment le remplacer), et puis je me demande bien de qui le Japon a été délivré.

L'Allemagne et le Japon ont jusqu'à une période très très récente été des zones où étaient installées de nombreuses bases américaines.

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Le d est à peu près clair : vu le coût de cette guerre, c'est une très très mauvaise opération économique,même à penser que le gouvernement US mettrait la main sur toutes les réserves irakiennes.

Qui paye déjà ? Les citoyens américains.

Qui récolte ? Les lobbys et par entrefilet les politiciens.

Enfin toute la région est zone d'influence pour une seule et unique raison : le pétrole. Toutes les guerres récentes en sont la cause. Quand l'Irak combat l'Iran c'est une bonne chose, quand il franchit le Koweit (7% du pétrole), là arabes et occidentaux forment une coalition contre le régime de Saddam : 1ère guerre du Golfe. Mais la seconde c'est contre le terrorisme et pour la démocratie, évidemment !

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Le d est à peu près clair : vu le coût de cette guerre, c'est une très très mauvaise opération économique,même à penser que le gouvernement US mettrait la main sur toutes les réserves irakiennes.

C'est une évidence a posteriori. Mais lors du choix d'entrer en guerre ?

Le a c'est subjectif, mais ce doit entrer en ligne de compte.

J'ai comme un doute. Rappel : on nous a sorti ça du chapeau quand les armes de destruction massive ont manqué.

Le b : apparemment tout est consacré dans un triangle partant de Bagdad et Tikrit, plus une troisième ville. A confirmer, ça fait longtemps que je ne m'y intéresse plus.

Moi de même. Mais du coup des documents là-dessus m'intéresseraient.

Le c: à voir.

Je ne savais pas que l'Irak avait menacé Israël. Là encore, si quelqu'un a des documents.

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Un militant de liberté chérie (dont le nom m'échappe :icon_up: ) m'a recommandé d'étudier le concept de "guerre juste". Mmmh voyons. Wikipedia :

La doctrine de la guerre juste est un modèle de pensée et un ensemble de règles de conduite morale définissant à quelle condition la guerre est une action moralement acceptable. La doctrine s'intéresse plus particulièrement à la guerre préventive et la notion de preuve du casus belli n'y a que peu de place. (…)

Thomas d'Aquin exige trois conditions :

1. auctoritas principis : la guerre ne peut relever que de la puissance publique sinon elle est un crime . L'auctoritas principis s'oppose à la décision individuelle appelée persona privata;

2. causa justa : la cause juste ; c'est cette dernière notion qui donne le plus lieu à interprétation ;

3. intentio recta : l'intention ne doit pas être entachée de causes cachées mais uniquement dans le but de faire triompher le bien commun.

Ben en plus d'être un concept non-libéral (action préventive donc a priori), c'est même pas gagné que ç'en soit une, de "guerre juste"…

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A mon sens on ne peut faire de guerre juste. Du moins si on prend en compte les êtres humains. Il s'agit d'un oxymore. Mais ce n'est que mon avis. Je veux bien à la rigueur un concept de "guerre nécessaire", mais "juste", sûrement pas. Et sur le côté nécessaire, ça se discuterait. Encore eut-il fallu en discuter. Cherchons un exemple de discussion sur l'Irak… "Ceux qui ne sont pas avec moi sont contre moi" ?

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Oui. Et ce n'est que justice.

Ce n'est pas valable à l'échelle d'une communauté : tous ne sont pas coupables, tous ne sont pas innocents.

Je crois que c'est un peu plus complexe que cela: il y avait pas mal de braves type dans l'armée allemande en mai '40 et pourtant il était parfaitement légitime de leur tirer dessus.

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Non ce n'est pas juste de tuer des braves types. Nécessaire si tu veux. En plus, la cause de la nécessité était peut-être un peu en France : le traité de Versailles y a une part, l'occupation de la Ruhr en 1923 a aidé Hitler à progresser. Alors question légitimité…

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A mon sens il l'est, du moins si on ne prône pas la non-violence totale.

Il existe une autre façon de voir : que telle ou telle "guerre" (Irak, Malouines, etc…) ne peut pas être qualifiable par la morale humaine, vu que c'est une affaire de criminels, entre Etats.

Autrement dit guerre "juste" ne me paraît pas un concept très porteur en terme de sens.

Retournons le problème : quelles guerres ont été justes?

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Il existe une autre façon de voir : que telle ou telle "guerre" (Irak, Malouines, etc…) ne peut pas être qualifiable par la morale humaine, vu que c'est une affaire de criminels, entre Etats.

C'est une façon de voir qui paradoxalement, sous prétexte que les états sont criminels, aboutit au refus de juger de leurs actions.

En d'autres mots, c'est une forme de collaboration idéologique qu'on espère involontaire. Pas trop mon truc.

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C'est une façon de voir qui paradoxalement, sous prétexte que les états sont criminels, aboutit au refus de juger de leurs actions.

Ce n'est pas exactement ce que je dis. Au contraire, j'ai un jugement de base qui est que TOUTE guerre est un crime. La guerre est LE domaine d'action où l'Etat est le plus malfaisant.

Après, la question que je me pose, c'est : peut-on classer les guerres? Si je regarde le comportement de la Wehrmacht (hors Gestapo, SS, et barjots de ce genre, juste l'armée), comparée aux Alliés de la WWII, je ne suis pas sûr que l'on puisse clairement dire qui menait une guerre juste. (évidemment, les US se sont fait attaqués, etc…mais vous voyez ce que je veux dire). Pareil pour la guerre d'Algérie.

Au final, je me dis qu'on peut peut-être classer les guerres entre elles, mais pour ce qui est de déterminer celles qui sont justes, je donne ma langue au chat.

En d'autres mots, c'est une forme de collaboration idéologique qu'on espère involontaire. Pas trop mon truc.

:icon_up: Deux éléments : "collaboration", et "qu'on espère involontaire". :warez::doigt:

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L'intervention des USA en Corée vers 1950 est un excellent exemple de guerre juste.

A cause de ceci, j'imagine (dis moi si tu es d'accord) :

La question des origines de la guerre [modifier]
Bernard Droz affirmait en 1992 que la responsabilité américaine et sud-coréenne apparaissait peu crédible[3] et, depuis l'ouverture des archives soviétiques[4], même un historien « révisionniste » comme Bruce Cumings, dans un débat enfin dépassionné, tient désormais pour acquis que l'offensive générale du 25 juin 1950 fut préparée de longue date par la Corée du Nord[5].

D'après des documents d'archives soviétiques, Kim Il-sung décida d'envahir la Corée du Sud au plus tard début septembre 1949, alors qu'« il n'y a pas eu d'incidents sérieux au 38e parallèle depuis le 15 août[6] ». Staline considérait toutefois que pour le moment une telle initiative n’était opportune ni militairement, ni politiquement, ni économiquement. Il s'inquiéta notamment de l'impréparation de l’armée nord-coréenne ainsi que d'une possible intervention américaine et interdit en conséquence une entreprise dont le plein succès n’était pas assuré. En effet, par un télégramme daté du 24 septembre 1949, le Politburo chargea l’ambassadeur soviétique à Pyongyang, le général Shtykov, d’informer Kim Il-sung qu’aux yeux des dirigeants soviétiques l’« Armée populaire coréenne […] n’était pas prête pour une attaque », que celle-ci entraînerait « des difficultés politiques et économiques significatives pour la Corée du Nord » et que par conséquent une telle attaque n’était pas « permise[7] ».

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Ce n'est pas exactement ce que je dis. Au contraire, j'ai un jugement de base qui est que TOUTE guerre est un crime. La guerre est LE domaine d'action où l'Etat est le plus malfaisant.

+1

Après, la question que je me pose, c'est : peut-on classer les guerres? Si je regarde le comportement de la Wehrmacht (hors Gestapo, SS, et barjots de ce genre, juste l'armée), comparée aux Alliés de la WWII, je ne suis pas sûr que l'on puisse clairement dire qui menait une guerre juste. (évidemment, les US se sont fait attaqués, etc…mais vous voyez ce que je veux dire). Pareil pour la guerre d'Algérie.

http://www.memorialdelashoah.org/upload/me…ito_rhs_187.pdf

"Le mythe d’une Wehrmacht «aux mains blanches» a fait long feu. L’armée régulière du Reich serait responsable de la mort de près d’un million et demi de

Juifs d’Europe. Responsable aussi de celle de 3300000 prisonniers de guerre soviétiques. Et de celle de 5 à 7 millions de civils dans des zones où les combats

ouverts avaient cessé. La destruction des Juifs d’Europe s’inscrit dans ce cadre et confirme que le génocide fut le fait d’une société entière. Bien informée d’un

crime dont elle fut le premier témoin, la Wehrmacht a, au mieux, laissé faire."

Sinon effectivement les généraux et politiciens alliés, ne serait-ce que par les bombardement de Dresde, Hiroshima, Nagasaki, auraient du être traduits pour crimes de guerre, mais qui à la Libération aurait pu simplement le dire?

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Invité jabial

Pour moi, l'unité de mesure est le fait d'épargner les non-combattants.

Si un type porte un uniforme et toi aussi, et que tu es en guerre contre son camp, tirer dessus ne relève pas du meurtre mais d'un cas collectif de duel ; les règles de la guerre (convention de Genève etc etc) s'appliquent, et tout ça.

Si un type ne porte pas d'uniforme, tu ne peux tirer dessus que dans le cadre de la police criminelle, c'est-à-dire pour arrêter un criminel de sang qu'il est impossible de capturer ou pour prévenir un crime qu'il a commencé d'exécuter au sens juridique de la tentative.

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<a href="http://www.memorialdelashoah.org/upload/medias/fr/Edito_rhs_187.pdf" target="_blank">http://www.memorialdelashoah.org/upload/me…ito_rhs_187.pdf</a>

"Le mythe d’une Wehrmacht «aux mains blanches» a fait long feu. L’armée régulière du Reich serait responsable de la mort de près d’un million et demi de

Juifs d’Europe. Responsable aussi de celle de 3300000 prisonniers de guerre soviétiques. Et de celle de 5 à 7 millions de civils dans des zones où les combats

ouverts avaient cessé. La destruction des Juifs d’Europe s’inscrit dans ce cadre et confirme que le génocide fut le fait d’une société entière. Bien informée d’un

crime dont elle fut le premier témoin, la Wehrmacht a, au mieux, laissé faire."

:icon_up: Bon merci de me corriger.

Sinon effectivement les généraux et politiciens alliés, ne serait-ce que par les bombardement de Dresde, Hiroshima, Nagasaki, auraient du être traduits pour crimes de guerre, mais qui à la Libération aurait pu simplement le dire?

C'est en effet un problème pratique qui mérite d'être posé.

Pour moi, l'unité de mesure est le fait d'épargner les non-combattants.

Si un type porte un uniforme et toi aussi, et que tu es en guerre contre son camp, tirer dessus ne relève pas du meurtre mais d'un cas collectif de duel ; les règles de la guerre (convention de Genève etc etc) s'appliquent, et tout ça.

Le Hezbollah a un uniforme? Les Tigres Tamouls? Al Qaeda? Toutes organisations capables d'avoir désormais de véritables opérations militaires. Le Hezbollah n'est-il pas réputé être la première entité non gouvernementale a avoir fait voler un drone à des fins militaires?

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René Girard : « la guerre est partout »

18/10/2007 - Propos recueillis par Élisabeth Lévy - © Le Point - N°1831

L'anthropologue de la violence et du religieux René Girard, de l'Académie française, a découvert chez Clausewitz, une référence en matière de stratégie militaire, d'étonnantes similitudes avec ses thèses. Dans son livre « Achever Clausewitz » (Carnets nord), il livre une sombre analyse : « Il n'y a plus de politique intelligente, dit-il au Point . Nous sommes près de la fin. »

Le Point : Vous avez trouvé dans l'oeuvre de Clausewitz de surprenantes résonances avec la vôtre. De même que sa pensée est indissolublement liée sinon à l'expérience directe, du moins à l'observation concrète des guerres napoléoniennes, avez-vous été influencé par la Seconde Guerre mondiale, survenue alors que vous étiez adolescent ?

René Girard : C'est indéniable. Ma conscience des événements, de l'Histoire, de la politique, est montée avec la menace totalitaire. Né à la fin de 1923, j'avais donc 10 ans lors de l'arrivée au pouvoir de Hitler. Un enfant pouvait très bien comprendre que la montée de l'hitlérisme signifiait que la France était menacée d'une invasion. Mon père était très perspicace, et il était un grand lecteur de la presse ; c'était un Français radical-socialiste, pas un militant, mais un intellectuel qui s'intéressait aux événements, exactement ce que je suis devenu moi-même. Il a tout de suite vu qu'on assistait à un retour de l'Allemagne et aussi qu'il était impossible de remettre ça, qu'on ne referait pas Verdun. Plus tard, il a compris, avant même l'automne 1941, que ça commençait à mal tourner pour les Allemands et que Moscou et Leningrad allaient peut-être tenir le coup.

Voulez-vous dire que, bien que contemporain des événements, vous étiez conscient de l'Histoire que vous viviez ?

Evidemment ! Je me souviens très bien de la remilitarisation de la Rhénanie en 1935. Si les Français étaient entrés en Allemagne, ils auraient pu changer le cours des événements : les Allemands étaient incapables de leur opposer la moindre résistance. Seulement Albert Sarraut [président du Conseil] et le gouvernement français seraient passés pour les salopards qui empêchaient le monde de revenir à la normale. Ils n'étaient pas assez forts moralement pour tenir le coup. Par la suite, on a beaucoup reproché à Sarraut sa passivité. Mais il était dans une situation inextricable. En tout cas, j'ai gardé de cet épisode la certitude que nous étions « faits comme des rats », pour reprendre le leitmotiv de Céline dans « Voyage au bout de la nuit ».

Avez-vous, ensuite, directement souffert de l'Occupation ?

Tant que je suis resté à Avignon, elle est restée assez supportable. Je suis parti en khâgne à Lyon, où mon frère étudiait la médecine. Appartenant à une famille de la bourgeoisie déchue, je souffrais de mon infériorité sociale par rapport à mes condisciples de bonne famille lyonnaise. Au bout d'une semaine, j'en ai eu assez et je suis rentré. Il faut dire que j'avais déjà passé mon bac en suivant des cours par correspondance car, comme j'étais chahuteur en diable, je m'étais fait renvoyer du lycée. C'est donc chez moi que j'ai préparé le concours de l'Ecole des chartes, comme mon père. J'ai été reçu en 1942 et je me suis retrouvé à Paris, dans un hôtel où l'on chauffait un quart d'heure par jour. Heureusement, au bout d'un an, des amis m'ont fait entrer au 104, rue de Vaugirard, cette institution tenue par les frères maristes, où a vécu François Mitterrand. Grâce à mon poste de radio clandestin, j'ai été le premier à annoncer le débarquement du 6 août 1944.

En tout cas, cette question de la violence est au coeur de votre oeuvre et de votre théorie du désir mimétique. Mais, jusque-là, vous vous intéressiez plus aux mythes et à la littérature qu'à la stratégie. Qu'est-ce qui vous a amené à Clausewitz ?

Pour l'anecdote, je l'ai découvert en anglais dans une édition annotée par un pilote de l'US Air force. Et la correspondance avec mon oeuvre m'a sauté aux yeux. Voilà un penseur du XIXe siècle qui n'a pas la réputation d'être un littéraire, même si j'ai découvert qu'il est un sacré écrivain. Clausewitz, ça fait sérieux. Il sent le soufre, d'ailleurs les Allemands ne veulent pas entendre parler de lui. Je dirais qu'il a une sorte de prestige noir. Or on a beaucoup reproché à ma théorie du désir mimétique d'être uniquement fondée sur la littérature, ce qui était une façon de la décrédibiliser.

Quelles que soient les époques, la littérature a quelque chose à voir avec la vérité. C'est le sens de l'expression d'Aragon le « mentir-vrai ». Et c'est aussi la thèse de votre « Mensonge romantique et vérité romanesque », qui dans les années 60 a suscité la polémique…

Pour moi, la littérature est beaucoup plus forte que les sciences de l'homme des années 60, qui ont d'ailleurs complètement disparu. Et, dans le fond, l'oeuvre de Clausewitz est un mensonge romantique militaire. Dans son premier chapitre, il laisse entendre, sans le dire expressément, que la guerre n'a pas cessé depuis le début de l'Histoire, et donc que l'histoire humaine est celle d'une inéluctable « montée aux extrêmes », la réciprocité engendrant toujours plus de vengeance. Mais il s'empresse de cacher l'aspect terrifiant de sa théorie pour affirmer que la guerre absolue n'a jamais lieu. En réalité, Clausewitz redoute secrètement que l'on revienne à « la guerre en dentelles » une fois que Napoléon sera mort. Il voue à Napoléon une haine farouche et un amour prodigieux : on trouve difficilement meilleur exemple de mimétisme.

Il pressent ce que nous appelons la guerre totale, qui ne met plus en prise des armées mais des sociétés entières…

Oui, la guerre absolue fait appel à la mobilisation infinie que Peter Sloterdijk a très bien analysée. Dans sa lecture de Clausewitz, Raymond Aron a essayé de sauver la science politique. Tout le monde connaît la formule « la guerre est la poursuite de la politique par d'autres moyens ». En vérité, pour lui, guerre et politique sont équivalentes. Ce qui signifie que la politique n'existe pas.

Pour vous, la « rivalité mimétique » est le moteur même de l'Histoire. Qu'est-ce qui vous fait penser qu'aujourd'hui il s'emballe ?

Les guerres mondiales avaient marqué une étape dans la montée aux extrêmes. Le 11 septembre 2001 a été le début d'une nouvelle phase. Le terrorisme actuel reste à penser. On ne comprend toujours pas ce qu'est un terroriste prêt à mourir pour tuer des Américains, des Israéliens ou des Irakiens. La nouveauté par rapport à l'héroïsme occidental est qu'il s'agit d'imposer la souffrance et la mort, au besoin en les subissant soi-même. Les Américains ont commis l'erreur de « déclarer la guerre » à Al-Qaeda alors qu'on ne sait même pas si Al-Qaeda existe. L'ère des guerres est finie : désormais, la guerre est partout. Nous sommes entrés dans l'ère du passage à l'acte universel. Il n'y a plus de politique intelligente. Nous sommes près de la fin.

L'Apocalypse est-elle pour demain ?

Bien sûr que non, mais, dans le monde actuel, beaucoup de choses correspondent au climat des grands textes apocalyptiques du Nouveau Testament, en particulier Matthieu et Marc. Il y est fait mention du phénomène principal du mimétisme, qui est la lutte des doubles : ville contre ville, province contre province…Ce sont toujours les doubles qui se battent et leur bagarre n'a aucun sens puisque c'est la même chose des deux côtés. Dans ces conditions, je ne vois pas de tâche plus importante que de rappeler sans cesse le réalisme de la révélation et des textes apocalyptiques. Mais même l'Eglise ne s'y réfère plus jamais. Quand j'étais gosse, les dimanches qui suivaient la Pentecôte étaient les dimanches apocalyptiques, et c'est là-dessus que portaient les sermons. On a cessé de prêcher là-dessus en 1946 : après la bombe, c'était devenu trop brûlant.

Mais alors, l'humanité a-t-elle encore le choix ou est-ce déjà trop tard ?

Nous sommes menacés de mort. Le message judéo-chrétien est que si nous ne nous réconcilions pas, il n'y a plus de victimes sacrificielles pour nous sauver la peau. L'offre du royaume de Dieu, c'est la réconciliation ou rien. Malheureusement, nous sommes en train de faire le second choix par ignorance et paresse. La seule solution est de refuser toute violence, toutes représailles. Je ne suis pas du tout sûr d'en être capable, mais les Evangiles nous disent que c'est la seule issue. Le drame, c'est qu'on choisit toujours le court terme. Nous sommes tous dans la position de Louis XV : « Après moi, le déluge. »

« Achever Clausewitz. Entretiens avec Benoît Chantre » (Carnets nord, 2007, 360 pages, 22 E).

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Ah, merci, je n'avais pas encore pris connaissance de cet entretien.

Ca peut parfois servir d'être un chercheur de docs obsédé :icon_up:

Un passage qui me laisse perplexe :

Les guerres mondiales avaient marqué une étape dans la montée aux extrêmes. Le 11 septembre 2001 a été le début d'une nouvelle phase. Le terrorisme actuel reste à penser. On ne comprend toujours pas ce qu'est un terroriste prêt à mourir pour tuer des Américains, des Israéliens ou des Irakiens. La nouveauté par rapport à l'héroïsme occidental est qu'il s'agit d'imposer la souffrance et la mort, au besoin en les subissant soi-même. Les Américains ont commis l'erreur de « déclarer la guerre » à Al-Qaeda alors qu'on ne sait même pas si Al-Qaeda existe. L'ère des guerres est finie : désormais, la guerre est partout. Nous sommes entrés dans l'ère du passage à l'acte universel. Il n'y a plus de politique intelligente. Nous sommes près de la fin.

En réalité, les cas qu'il cite ne relèvent-ils pas de ce qui existe déjà à une plus grande échelle : les brigades rouges, la fraction armée rouge, etc…. n'étaient-ils pas soutenus par certains états du bloc de l'Est?

Ici, Al Qaeda c'est pareilmais à une échelle bien plus grande, avec une myriade de soutiens fluctuants. La réalité est plus complexe mais elle ne me semble pas si nouvelle, pas au point de devoir tout repenser..

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