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Les mythes du système scolaire


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Les mythes du système scolaire

Analyse.

Emmanuel Garessus

Mercredi 3 octobre 2007

La débauche d'énergie qui sert à défendre certaines affirmations est parfois telle qu'elle invite à les tester. C'est le cas du soutien à l'école publique et gratuite dans les pays en voie de développement. Trois idées nous sont imposées: 1. Il n'y a pas d'écoles privées pour les pauvres puisqu'elles sont destinées aux privilégiés. 2. L'école publique et gratuite est la seule qui soit capable d'augmenter la scolarisation dans les pays pauvres. 3. L'école privée est de moins bonne qualité.

Une équipe de l'institut EG West de l'Université de Newcastle* est partie dans les bidonvilles d'Inde, du Nigeria, du Ghana et du Nigeria. Elle a voulu confronter à la réalité ces trois affirmations répandues par les médias, les ONG et les politiques. L'expérience a duré trois ans: dans des situations souvent d'une tristesse infinie, ils interrogent, enquêtent, découvrent des écoles, parlent aux parents, évaluent les élèves et les systèmes. Le résultat a été présenté vendredi à la 3e conférence internationale Gottfried von Haberler, au Liechtenstein, organisée par l'ECAEF.

A Hyderabad, en Inde, où cohabitent une ville high-tech et la plus grande misère, l'experte britannique Pauline Dixon a dénombré 918 écoles. Première surprise, 549 d'entre elles sont privées, soit 59,8%. La proportion est très proche à Ga, au Ghana, et à Lagos, au Nigeria. Dans ces villes de pays en développement, les écoles privées pour les pauvres existent et elles sont clairement majoritaires. Ces chiffres prouvent que les gouvernements sous-estiment massivement la fréquentation des écoles privées.

L'expérience démentira aussi la deuxième affirmation et, en même temps, elle soulignera les effets pervers de l'aide publique: en 2003, la Banque mondiale a investi 55 millions de dollars au Kenya pour accroître la scolarisation. L'argent a permis l'établissement de cinq écoles publiques autour du plus grand bidonville d'Afrique (1 million d'habitants). Il a certes offert à 3296 élèves l'accès à l'école publique. Mais il s'est traduit par une diminution de la fréquentation nette des écoles privées préexistantes (-6010 élèves) et a causé la fermeture d'écoles privées (-4600 autres élèves). Résultat net: 7875 élèves sont sortis du système scolaire. En économie, on appelle «crowding out» cet effet particulier. L'aide publique a diminué la fréquentation de l'école. Les critiques rétorqueront que c'est le prix à payer pour un système de qualité. L'ONG Oxfam, très populaire dans les médias, appuie ce discours. Mais les activités d'Oxfam sont si étroitement liées aux gouvernements que ses jugements opposés au privé sont sans surprise, selon Pauline Dixon. Pourquoi ne pas demander directement aux parents les raisons qui les ont amenés à placer leurs enfants dans des écoles publiques et gratuites? Les témoignages recueillis sont empreints de regrets. Ils montrent que les enseignants du public (payés entre 100 et 150 dollars par mois) sont moins présents dans les écoles publiques, moins concernés par leur travail, et rarement contrôlés. Le service est gratuit et, «au marché, si vous offrez des fruits et légumes gratuits, chacun sait qu'ils sont pourris», dira un parent. Les enseignants du privé (payés entre 25 et 50 dollars) s'investissent d'autant plus qu'ils sont souvent eux-mêmes responsables de leur projet. Ce sont des entrepreneurs de la formation et ils demandent jusqu'à 4 dollars par mois et par élève (avec des rabais pour 10% des élèves).

Les travaux de Pauline Dixon sur le nombre d'élèves par enseignant, le taux d'absentéisme et l'accès à l'eau potable apportent de nouveaux points en faveur du «privé pour les pauvres». Bien sûr l'espace d'enseignement n'est pas grand. Mais une visite de bidonville permet de douter du réalisme des normes légales en termes de m2 par élève. Des règles déprimantes: dans certains pays, la loi interdit aux écoles privées de faire du profit.

Quant à la troisième affirmation, elle ne tient pas davantage la route. Les connaissances des élèves sont meilleures dans le privé selon une évaluation auprès de 24000 enfants, tant en maths qu'en connaissances générales. Oxfam ne conteste pas, mais demande d'intégrer les coûts, comme si le fait que le salaire du secteur public, double du privé, était une preuve de qualité.

Ces observations amènent les chercheurs anglais à souligner les mérites de la philanthropie et de la microfinance. Celle-ci se prête bien à l'amélioration des bâtiments scolaires et du matériel de formation, y compris des ordinateurs. Quant à la prochaine expérience, elle consistera à retrouver la trace des élèves et vérifier s'ils sont encore en formation. Ce sera plus facile pour le privé que pour le public, car seul le premier dispose des archives nécessaires… La solution, c'est l'école à 4 dollars par mois assumée par des personnes pleinement responsables, mais pas le service gratuit.

*www.ncl.ac.uk/egwest

Le Temps.

www.ncl.ac.uk/egwest

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en 2003, la Banque mondiale a investi 55 millions de dollars au Kenya pour accroître la scolarisation. L'argent a permis l'établissement de cinq écoles publiques autour du plus grand bidonville d'Afrique (1 million d'habitants). Il a certes offert à 3296 élèves l'accès à l'école publique. Mais il s'est traduit par une diminution de la fréquentation nette des écoles privées préexistantes (-6010 élèves) et a causé la fermeture d'écoles privées (-4600 autres élèves). Résultat net: 7875 élèves sont sortis du système scolaire.

C'est tout simplement criminel ! :icon_up:

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Il a certes offert à 3296 élèves l'accès à l'école publique. Mais il s'est traduit par une diminution de la fréquentation nette des écoles privées préexistantes (-6010 élèves) et a causé la fermeture d'écoles privées (-4600 autres élèves). Résultat net: 7875 élèves sont sortis du système scolaire. En économie, on appelle «crowding out» cet effet particulier.

Je ne comprends pas bien les comptes. Si 3296 élèves ont accès à l'école publique, pourquoi la fréquentation des écoles privées baisse de 6010. Il manque 2714 élèves qui ont cessés de fréquenter les écoles privées sans pour autant aller à l'école publique, c'est curieux ?

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Ça s'appelle "crowding out", ou effet d'éviction.

[Edit]

En gros, l'apparition d'écoles publiques réduit bien la fréquentation des écoles privées de N, mais ce faisant elle diminue leur attractivité (d'où la baisse supplémentaire), et finit par leur plomber la rentabilité et les faire fermer (d'où une baisse de fréquentation finale, par effet de seuil).

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Margotte, désœuvrée, contemplait un choix d'activité pour l'après-midi. Elle pouvait aller aider son père à traire les vaches, aider son grand frère à ramasser les œufs au poulailler, ou aller aider sa mère à filer la laine.

Mais voilà que son voisin, Petit Pierre, débarque dans l'étable pour aider son père à traire les vaches. Margotte décide donc de ne choisir qu'entre aider son frère ou sa mère, alors pourtant qu'elle pourrait tout aussi bien aider Pierre et son père, vu qu'à deux ils n'auront malgré tout pas fini de traire toutes les vaches avant ce soir. Sa petite sœur Juliette fait le même raisonnement, de même que les jumeaux Toine et Titou. Au final, personne n'aide le père et la traite des vaches tarde, vu que Pierre s'avère en fait être un gros flemmard.

Voilà, c'est plus clair ?

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Voilà, c'est plus clair ?

C'est parfaitement clair pour ce qui est de l'effet d'éviction (et j'admire ton fabliau, j'aurais été incapable de pondre un truc similaire en le double de temps).

Mais en quoi ça s'applique aux écoles privées ? (Désolé, je suis un peu dur de le comprenette aujourd'hui…)

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Tout comme Margotte, les entrepreneurs et investisseurs qui sont susceptibles de se lancer dans l'enseignement privé sont découragés par l'apparition d'une concurrence totalement déloyale. Ils ne peuvent pas justifier autant de dépenses, et ferment donc probablement un certain nombre de classes en prévision de la baisse anticipée de fréquentation ET de financement.

Les parents des élèves peuvent être tentés d'attendre que d'autre écoles publiques s'ouvrent. D'autant plus tentés, d'ailleurs, qu'ils peuvent avoir l'usage immédiat des fonds prévus. C'est irrationnel, mais c'est humain. Peut-être même qu'ils se battent pour l'accès (forcément rationné) à l'école publique, et ne seretournent pas vers les écoles privées après coup (il pourrait y avoir des contraintes de temps qui jouent ?).

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Ça s'appelle "crowding out", ou effet d'éviction.

[Edit]

En gros, l'apparition d'écoles publiques réduit bien la fréquentation des écoles privées de N, mais ce faisant elle diminue leur attractivité (d'où la baisse supplémentaire), et finit par leur plomber la rentabilité et les faire fermer (d'où une baisse de fréquentation finale, par effet de seuil).

Pour que cela fonctionne, il faut qu'à un moment ou un autre un parent se dise : je préfère que mon enfant aille dans la rue, plutôt qu'à l'école privée, c'est l'école publique ou rien. C'est ce genre de décision que je n'arrive pas à comprendre.

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Biais de la surabondance moderne. Les écoles privées du tiers monde sont limitées par le financement, pour l'essentiel, si j'en crois les articles de James Tooley, pas par le nombre de parents qui décident d'y envoyer leurs enfants.

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Tout comme Margotte, les entrepreneurs et investisseurs qui sont susceptibles de se lancer dans l'enseignement privé sont découragés par l'apparition d'une concurrence totalement déloyale. Ils ne peuvent pas justifier autant de dépenses, et ferment donc probablement un certain nombre de classes en prévision de la baisse anticipée de fréquentation ET de financement.

Les parents des élèves peuvent être tentés d'attendre que d'autre écoles publiques s'ouvrent. D'autant plus tentés, d'ailleurs, qu'ils peuvent avoir l'usage immédiat des fonds prévus. C'est irrationnel, mais c'est humain. Peut-être même qu'ils se battent pour l'accès (forcément rationné) à l'école publique, et ne seretournent pas vers les écoles privées après coup (il pourrait y avoir des contraintes de temps qui jouent ?).

OK, je vois en effet parfaitement ce que tu veux dire désormais. Et en effet, ça explique très bien la chose.

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L'effet multiplicateur de la démotivation (à plusieurs étages: parents, directeurs d'école, et finalement leurs investisseurs) est par contre proprement effrayant, avec environ 300% de baisse dans le privé par rapport à l'augmentation de fréquentation du public. Ces gens là doivent être plutôt désespérés :icon_up:

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Biais de la surabondance moderne. Les écoles privées du tiers monde sont limitées par le financement, pour l'essentiel, si j'en crois les articles de James Tooley, pas par le nombre de parents qui décident d'y envoyer leurs enfants.

Si c'est une réponse à mon questionnement, je crois que je n'ai pas bien compris.

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Les parents n'ont pas un choix à faire entre école publique, école privée, et la rue. Ceux qui préfèrent l'école publique "gratuite" y envoient leurs enfants, à hauteur des places disponibles, tandis que ceux qui préfèrent l'école privée y envoient leurs enfants, dans la limite des places disponibles.

Et manque de bol, chaque place de plus disponible en école publique signifie trois places de moins disponibles en école privée. Ce ne sont pas, ou alors très faiblement, des vases communicants équivalents. Pour bien comprendre ça il faudrait se représenter plusieurs foyers avec des préférences différentes, pour comprendre leur réaction à l'introduction d'écoles publiques. Mais ça n'empêche qu'apparemment, si les chiffres sont exacts, c'est d'abord et de loin l'effet sur le financement qui compte.

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Les parents n'ont pas un choix à faire entre école publique, école privée, et la rue. Ceux qui préfèrent l'école publique "gratuite" y envoient leurs enfants, à hauteur des places disponibles, tandis que ceux qui préfèrent l'école privée y envoient leurs enfants, dans la limite des places disponibles.

Et manque de bol, chaque place de plus disponible en école publique signifie trois places de moins disponibles en école privée. Ce ne sont pas, ou alors très faiblement, des vases communicants équivalents.

D'accord, donc l'explication c'est la fermeture de classes dans les écoles privées. La baisse de fréquentation résulte donc d'une incapacité des écoles privées à s'adapter au changement brutal que constitue l'arrivée d'un monopole public. Une solution interventionniste serait alors d'anticiper les conséquences de cette baisse de fréquentation en allouant des crédits également aux écoles privées pour rétablir l'équilibre.

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Il est hallucinant d'entendre parler de "concurrence déloyale". La seule chose néfaste dans cette injection de capital ce sont les contribuables qui ont été volé. L'aide est un cadeau net fait aux enfants qui ont pu être scolarisés.

Pourquoi dès qu'on parle d'aide aux pays Africains les arguments protectionnistes deviennent-ils miraculeusement si convainquants chez les libéraux?

Est-ce que les chinois font du "crowding out" de la production Française? Certes les chiffres disent ici que des enfants sont sortis du système scolaire, mais c'est une simple observation, cela n'indique pas de cause à effet. Par hinsight bias cela nous semble logique ou évident. Ça ne l'est pas. La seule déduction a priori que nous pouvons faire est de dire que toutes choses égales, une baisse du prix de l'éducation augmente le nombre d'enfants scolarisés.

Si les écoles gratuites sont capables d'accueillir tous les enfants, tant mieux. Les écoles privées marginales disparaitront, les plus efficaces resteront et accueillerons les enfants qui n'ont pas pu aller dans l'école publique.

Par ailleurs, même si moins d'enfants sont scolarisés, il ne faut pas oublier que les parents n'ont plus à payer de frais d'écoles. Peut-être qu'avec l'argent ainsi économisé ils peuvent fournir de meilleurs soins médicaux ou une meilleure nutrition pour leurs enfants.

Les subventions aux pays pauvres sont criticables car elles volent les riches des pays riches et car souvent elles enrichissent les criminels des pays pauvres du fait de la corruption… je regrette que des libéraux aient recours à des arguments paternalistes ou protectionnistes pour les critiquer.

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changement brutal que constitue l'arrivée d'un monopole public.

offre publique et non pas monopole si j'ai bien compris

Il est hallucinant d'entendre parler de "concurrence déloyale". La seule chose néfaste dans cette injection de capital ce sont les contribuables qui ont été volé. L'aide est un cadeau net fait aux enfants qui ont pu être scolarisés.

Oui et non. Si il y a effectivement un loi économique (que je ne comprends pas, d'ailleurs) qui prévoit une perte nette de place disponible, alors l'offre nouvelle est malfaisante.

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C'est de la concurrence criminelle, pour être plus précis. Payée avec de l'argent pris aux gens, ce qui se répercute inévitablement sur ceux qui "profitent" du service acheté avec.

Il s'agit de l'argent de la banque mondiale, d'où vient il ?

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Arg. Exact. C'est donc un cadeau fait avec de l'argent volé à l'étranger, et non aux intéressés. Pas de concurrence criminelle de leur point de vue, donc.

En effet, les subventions n'ont pas d'odeur… même si un produit importé est fabriqué par des esclaves, ce n'est pas mauvais pour l'économie.

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En l'occurence, c'est bel et bien mauvais :icon_up: La qualité et la quantité diminuent, le volume des échanges (et des investissements ?) aussi.

Pour un enfant là bas je ne pense pas. Mais on va pas recommencer ce débat.

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