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Röpke, Le Retour


Ronnie Hayek

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Comme je sais que plusieurs participants sont devenus véritablement fans de cet auteur, je me permets de poster quelques extraits de son classique La Crise de notre temps (trad. fr. parue en 1962).

Une société saine et solidement assise possède une véritable structure avec une infinité de degrés intermédiaires. Cette structure est nécessairement hiérarchique, c'est-à-dire qu'elle est divisée d'après l'ordre d'importance des fonctions, des services rendus et des facultés dominantes de chacun. Chaque membre de cette société a le bonheur de savoir où est sa place. Une telle construction soiale est fondée sur le rôle que jouent les vraies communautés, capables de se grouper, pourvues du contact vivifiant et humain du voisinage, de la famille, de la commune, de l'Eglise, de la profession. Mais la société s'est éloignée de plus en plus, durant les derniers cent ans, d'un tel idéal. Elle s'est décomposée en masses d'individus abstraits, aussi isolés et solitaires en leur qualité d'hommes qu'entassés comme des termites, en tant que porteurs de fonctions sociales.

Cette crise, propice à l'édification de l'État collectiviste, formule utilisée à plusieurs reprises par Röpke, trouve son origine dans le désastre révolutionnaire de 1789.

Tout romantisme révolutionnaire mis à part, soulignons d'abord expressément que chaque vraie révolution est une crise catastrophique de la société, un désastre dont l'issue finale reste toujours incertaine et dont le caractère pathologique apparaît dans ses formes mêmes. Elle a pour conséquence une paralysie de l'ordre, la destruction, l'assaut primitif et atroces des passions et des instincts. Rien ne la dépeint mieux que ce fait : lorsqu'elle ne peut être redressée à temps (en France, on n'a pas pu y réussir jadis), la crapule finit par dominer et les hommes tombent sous la coupe momentanée de névropathes notoires. Rien ne peut rendre ce fait héroïque ou romantique, pas même la Révolution française qui nous porte tout naturellement à cette glorification.

Cette révolution a donc ceci de commun avec toutes les autres révolutions, c'est d'être une catastrophe en soi; mais de l'être encore plus par son oeuvre. Comme elle, l'ère prérévolutionnaire avait été binaire : le moyen âge autant que l'ancien régime, qui nous apparaît parfois comme un moyen âge dégénéré. S'il faut se souvenir du caractère "médiéval"du régime d'alors, nous ne devons pas oublier cependant que cette société possédaitune véritable structure, dans laquelle les hommes étaient hiérarchiquement intégrés dans une communauté organisée. A considérer la période brillante du moyen âge, c'est-à-dire celle de la civilisation bourgeoise et citadine, cette époque semblait vraiment un exemple plein de promesses. Il est regrettable que ses effets aient été annihlés dans de vastes régions européennes - avant tout en Allemagne, en France, un peu moins en Suisse - par une nouvelle victoire du principe de domination : féodalité (sic) et absolutisme. Même cet ancien régime avait au moins l'avantage de constituer un ordre, consolidé par son cadre. La fatalité de la Révolution française a voulu que, frappée de l'aveuglement sociologique du rationalisme (…), elle ait confondu la violence avec l'ordre, la tradition, l'autorité et la hiérarchie, et qu'elle n'ait pas su distinguer l'aristocratie de l' "aristie" (É. Faguet); qu'elle ait cru devoir se débarrasser non seulement d'une hirarchie vivant d'exploitation, ressentie à juste titre comme une honte par les hommes de ce temps, mais encore de la hiérarchie tout court; elle a oublié que, sans hiérarchie, c'est-à-dire sans odonnance verticale et horizontale, une société ne peut exister et qu'un système social et économique dont le seul élément d'ordre est la liberté, signifie d'abord la dissolution, puis le despotisme, qui n'est pas autre chose au fond qu'une anarchie organisée.

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La hiérarchie est indispensable, pourvu qu'elle soit juste.

Certes, mais je n'ai pas l'impression que l'on fait référence à la hiérarchie quand on parle de "savoir où est sa place". Le système des castes, très peu pour moi.

(Peut-être surinterprété-je Röpke ou bien ce dernier s'est mal exprimé.)

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Certes, mais je n'ai pas l'impression que l'on fait référence à la hiérarchie quand on parle de "savoir où est sa place". Le système des castes, très peu pour moi.

(Peut-être surinterprété-je Röpke ou bien ce dernier s'est mal exprimé.)

Je crois que tu surinterprètes, dans la mesure où il ne porte guère dans son coeur l'école réactionnaire.

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Pour avoir à nouveau les discussions de sourds de l'autre jour et me prendre trois procès d'intention dans la gueule à chaque fois que j'écris un mot ? Non merci.

Arrête, on va pleurer :icon_up:

Perso, l'idée de hiérarchie et de "place" dans la société, quand j'étais gamins, je n'imaginais même pas que ça puisse exister. Depuis, j'ai constaté que la société ne correspondait pas vraiment à ma vision de gosse, mais cette idée me choque toujours autant.

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Bon.

Dès qu'on essaie d'agir de concert avec d'autres personnes, il faut un minimum d'organisation. Celle-ci est souvent hiérarchique - dans le sens le plus général et le moins précis du mot - et ces hiérarchies peuvent d'ailleurs changer en fonction des buts poursuivis, des capacités et de l'autorité des différentes personnes qui exercent des responsabilités, etc. Exemple, si nous devions écrire collectivement un bouquin sur l'anarcho-capitalisme, l'un serait "désigné" pour coordonner le tout, un autre pour rédiger la partie historique, un autre encore pour rédiger la partie sociologique, etc. Si le même groupe doit aller couper du bois, les tâches, y compris les tâches de "commandement" seraient probablement distribuées d'une manière différente, selon les capacités de chacun à effectuer la tâche considérée. Si donc une hiérarchie est acceptée par toutes les personnes concernées, elle est par ce fait-même juste (du moins dans l'hypothèse où ne joue aucun droit de propriété, parce que s'il s'agit d'une usine, le patron, c'est le propriétaire, même s'il est con comme un balai).

Sans ces structures naturelles, il est impossible d'agir de concert à moins que l'un ou l'autre ne s'impose par la force.

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Bon.

Dès qu'on essaie d'agir de concert avec d'autres personnes, il faut un minimum d'organisation. Celle-ci est souvent hiérarchique - dans le sens le plus général et le moins précis du mot - et ces hiérarchies peuvent d'ailleurs changer en fonction des buts poursuivis, des capacités et de l'autorité des différentes personnes qui exercent des responsabilités, etc. Exemple, si nous devions écrire collectivement un bouquin sur l'anarcho-capitalisme, l'un serait "désigné" pour coordonner le tout, un autre pour rédiger la partie historique, un autre encore pour rédiger la partie sociologique, etc. Si le même groupe doit aller couper du bois, les tâches, y compris les tâches de "commandement" seraient probablement distribuées d'une manière différente, selon les capacités de chacun à effectuer la tâche considérée. Si donc une hiérarchie est acceptée par toutes les personnes concernées, elle est par ce fait-même juste (du moins dans l'hypothèse où ne joue aucun droit de propriété, parce que s'il s'agit d'une usine, le patron, c'est le propriétaire, même s'il est con comme un balai).

Sans ces structures naturelles, il est impossible d'agir de concert à moins que l'un ou l'autre ne s'impose par la force.

Ce que tu dis est sain et évident, mais Röpke me semble aller beaucoup plus loin si je me base sur le court extrait donné.

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Arrête, on va pleurer :icon_up:

Perso, l'idée de hiérarchie et de "place" dans la société, quand j'étais gamins, je n'imaginais même pas que ça puisse exister. Depuis, j'ai constaté que la société ne correspondait pas vraiment à ma vision de gosse, mais cette idée me choque toujours autant.

Ce qui signifie qu'il y a encore de vastes horizons intellectuels qui peuvent s'ouvrir à toi. Noël ! :doigt:

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Ce que tu dis est sain et évident, mais Röpke me semble aller beaucoup plus loin si je me base sur le court extrait donné.

Röpke décrit une situation qui a existé et qu'il contraste favorablement à une situation existante. Toute comparaison est relative…

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Bon.

Dès qu'on essaie d'agir de concert avec d'autres personnes, il faut un minimum d'organisation. Celle-ci est souvent hiérarchique - dans le sens le plus général et le moins précis du mot - et ces hiérarchies peuvent d'ailleurs changer en fonction des buts poursuivis, des capacités et de l'autorité des différentes personnes qui exercent des responsabilités, etc. Exemple, si nous devions écrire collectivement un bouquin sur l'anarcho-capitalisme, l'un serait "désigné" pour coordonner le tout, un autre pour rédiger la partie historique, un autre encore pour rédiger la partie sociologique, etc. Si le même groupe doit aller couper du bois, les tâches, y compris les tâches de "commandement" seraient probablement distribuées d'une manière différente, selon les capacités de chacun à effectuer la tâche considérée. Si donc une hiérarchie est acceptée par toutes les personnes concernées, elle est par ce fait-même juste (du moins dans l'hypothèse où ne joue aucun droit de propriété, parce que s'il s'agit d'une usine, le patron, c'est le propriétaire, même s'il est con comme un balai).

Sans ces structures naturelles, il est impossible d'agir de concert à moins que l'un ou l'autre ne s'impose par la force.

Tout ça est évident, même si il y a moyen de rafiner et que le concept de hierarchie n'est pas le plus adapté à ce que tu décris.

Mais je ne vois pas comment on l'applique à la société entière, ce que semble faire Ropke.

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Dès qu'on essaie d'agir de concert avec d'autres personnes, il faut un minimum d'organisation. Celle-ci est souvent hiérarchique - dans le sens le plus général et le moins précis du mot - et ces hiérarchies peuvent d'ailleurs changer en fonction des buts poursuivis, des capacités et de l'autorité des différentes personnes qui exercent des responsabilités, etc. Exemple, si nous devions écrire collectivement un bouquin sur l'anarcho-capitalisme, l'un ou l'autre serait désigné pour coordonner le tout, l'autre pour rédiger la partie historique, un autre encore pour rédiger la partie sociologique, etc. Si le même groupe doit aller couper du bois, les tâches, y compris les tâches de "commandement" seraient probablement distribuées d'une manière différente, selon les capacités de chacun à effectuer la tâche considérée. Si donc une hiérarchie est acceptée par toutes les personnes concernées, elle est par ce fait même juste (du moins dans l'hypothèse où ne joue aucun droit de propriété, parce que s'il s'agit d'une usine, le patron, c'est le propriétaire, même s'il est con comme un balai).

Sans ces structures naturelles, il est impossible d'agir de concert à moins que l'un ou l'autre ne s'impose par la force.

Oui, mais d'une part, je ne vois pas trop en quoi ces hiérarchies sont menacées, d'autre part il ne s'agit pas d'une structure hiérarchique de la société, dont semble parler Röpke, mais d'une multitude de structures qui servent à des objectifs délimités. Il est évident que pour réaliser une chose en commun, il faut que chacun ait une place précise et sache quelle est cette place. Mais ça n'est pas transposable à la société dans son ensemble qui n'a pas d'objectif commun si ce n'est de vivre en bonne entente, et pour ça, pas besoin de hiérarchie et de "poste de commandement", au contraire.

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Mais la société s'est éloignée de plus en plus, durant les derniers cent ans, d'un tel idéal. Elle s'est décomposée en masses d'individus abstraits, aussi isolés et solitaires en leur qualité d'hommes qu'entassés comme des termites, en tant que porteurs de fonctions sociales.
La fatalité de la Révolution française a voulu que, frappée de l'aveuglement sociologique du rationalisme (…), elle ait confondu la violence avec l'ordre, la tradition, l'autorité et la hiérarchie, et qu'elle n'ait pas su distinguer l'aristocratie de l' "aristie" (É. Faguet); qu'elle ait cru devoir se débarrasser non seulement d'une hiérarchie vivant d'exploitation, ressentie à juste titre comme une honte par les hommes de ce temps, mais encore de la hiérarchie tout court; elle a oublié que, sans hiérarchie, c'est-à-dire sans ordonnance verticale et horizontale, une société ne peut exister et qu'un système social et économique dont le seul élément d'ordre est la liberté, signifie d'abord la dissolution, puis le despotisme, qui n'est pas autre chose au fond qu'une anarchie organisée.
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Oui, mais d'une part, je ne vois pas trop en quoi ces hiérarchies sont menacées

Je ne sais pas où tu vis, mais ce doit être loin de tout.

d'autre part il ne s'agit pas d'une structure hiérarchique de la société, dont semble parler Röpke, mais d'une multitude de structures qui servent à des objectifs délimités. Il est évident que pour réaliser une chose en commun, il faut que chacun ait une place précise et sache quelle est cette place. Mais ça n'est pas transposable à la société dans son ensemble qui n'a pas d'objectif commun si ce n'est de vivre en bonne entente, et pour ça, pas besoin de hiérarchie et de "poste de commandement", au contraire.

Tu remarqueras que l'extrait cité ne parle pas d'un prince ou d'un despote qui couronnerait le tout, au contraire, le despote est vu comme une menace. Donc tu surintérprètes de manière très significative. Ce qu'écrit Röpke, c'est que la révolution française avait raison d'abattre une hiérarchie qui ne remplissait plus ses fonctions (chose qui pour ma part mérité d'être nuancée, mais soit) mais avait tort d'abattre toute idée de hiérarchie, puisque la dissolution mène inmanquablement vers le despotisme.

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Je ne sais pas où tu vis, mais ce doit être loin de tout.

Ah, il n'y a plus de hiérarchie dans les entreprises ?

Tu remarqueras que l'extrait cité ne parle pas d'un prince ou d'un despote qui couronnerait le tout, au contraire, le despote est vu comme une menace. Donc tu surintérprètes de manière très significative. Ce qu'écrit Röpke, c'est que la révolution française avait raison d'abattre une hiérarchie qui ne remplissait plus ses fonctions (chose qui pour ma part mérité d'être nuancée, mais soit) mais avait tort d'abattre toute idée de hiérarchie, puisque la dissolution mène inmanquablement vers le despotisme.

Ma remarque sur les "postes de commandement" était de trop, mais ça ne change rien à ma critique. Röpke parle bien de hiérarchie globale de la société et qu'elle soit acceptée ou imposée ne change rien à mon jugement sur ce type d'organisation sociale : moi je ne l'accepte pas la hiérarchie globale.

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Ce qu'écrit Röpke, c'est que la révolution française (…) avait tort d'abattre toute idée de hiérarchie,

Affirmation manifestement fausse. L'idée d'une organisation hiérarchisée du travail date de 1880-1900, pas avant. Avant, il y avait une "hiérarchie" d'honneurs au sein de la communauté professionnelle, mais ce n'est pas l'activité du travail qui était hiérarchisée dans le sens où on l'entend aujourd'hui.

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Comment peut-il y avoir hierarchie, sans avoir au sommet un homme ou un petit groupe ?

Cette hiérarchie n'est pas nécessairement imposé au sens coercitif par un groupe situé à son sommet, les pressions et les contrôles sociaux qui peuvent garantir l'existence de la hiérarchie peuvent être disséminés de manière diffuse dans la société : c'est ce qui se passe (ou tout du moins se passait il y a peu de temps) en Inde où le système des castes n'est pas imposé par un pouvoir central. Néanmoins, un tel schéma ne peut être effectif que dans des sociétés holistes, et non pas dans les sociétés individualistes (comme en Europe). Sans entrer dans les détails culturels, il faut de toute façon que cette hiérarchie existe de manière traditionnelle pour qu'elle puisse être perpétuée, elle ne peut certainement pas être construite à un moment donné. Or, puisque, de fait, une telle hiérarchie fonctionnelle n'existe plus en Europe, il n'y a aucun risque qu'elle réapparaisse.

Sur le texte de Rökpe, il y a deux manières de comprendre sa première tirade : ou bien l'idée que "chaque homme a sa place dans la société" se comprend en disant que cette place existe dans l'absolu, c'est-à-dire indépendemment des compétences et des actions de l'individu, auquel cas on verse dans une conception holiste qui est tout à fait hors de propos d'après ce qui précéde, ou bien cette idée se comprend en disant que les hommes sont hiérarchisés en fonction de leurs compétences et de leurs actions et que cette hiérarchie est, par conséquent, mouvante. Néanmoins, dans ce cas, c'est une évidence qui n'est pas forcément bien décrite par le concept de "hiérarchie" : une société en paix n'est jamais de fait déstructurée si on entend le terme de structure dans sa dimension fonctionnelle (i.e. chacun a un rôle, des compétences, un emploi, participe à créer des 'choses' utiles, etc.)

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