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Requiem Pour Un Plan Defunt


Dardanus

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Publié dans le Monde, une bien triste nouvelle.

Encore une dissolution aventureuse !, par Alain Etchegoyen

LE MONDE | 02.11.05 | 13h45  •  Mis à jour le 02.11.05 | 13h45

Comme successeur de Jean Monnet, je ne peux quitter, mercredi 2 novembre, le Commissariat général du Plan sans marquer un profond respect pour son histoire et pour tous ceux qui y travaillent. Car soixante années d'histoire ne se rayent pas d'un trait de plume, à la faveur d'une conférence de presse. Cette suppression du Plan pourrait bien s'apparenter à une dissolution aventureuse. Le Plan est à la fois un lieu, une marque symbolique et une institution paradoxale de la France.

Un lieu : la rue de Martignac, l'hôtel que Gaston Palewski [1901-1984, directeur des affaires politiques du général de Gaulle à Londres, président du Conseil constitutionnel, ministre chargé de l'énergie atomique] dénicha pour Jean Monnet et qui ravissait ce dernier. "Je veux un lieu qui représente la France" , réclamait-il, et on lui offrit un hôtel particulier aux atours de théâtre, comme un lieu de représentation.

Pendant des décennies, le Plan fut un lieu de rencontres. Un lieu pacifié, inégalé, dans lequel les représentants des travailleurs et des chefs d'entreprise, les économistes et les universitaires, les chercheurs et les directeurs d'administration centrale, les parlementaires et les élus locaux discutèrent entre eux en se tournant vers l'avenir.

Loin des conflits du jour, ils tentaient de regarder dans la même direction.

Pour Jean Monnet, les syndicalistes devaient comprendre l'économie et les chefs d'entreprise connaître le social. Ses successeurs l'ont suivi dans cette voie. Le Plan est transversal. Pierre Massé [commissaire au Plan de 1959 à 1966 ] aimait répéter "on croit que nous sommes cent, en fait nous sommes trois mille !" Osera-t-on dire que ce lieu est aujourd'hui périmé ? Les organisations demeurent très verticales.

Chacun travaille encore de son côté. Les données administratives restent éclatées tant qu'elles n'ont pas été rassemblées autour d'une table. Le Plan a inventé la "fertilisation croisée" avant que l'expression ne devienne à la mode.

Aussi le nom du lieu est-il devenu un nom propre, une véritable marque. Combien ai-je rencontré de dirigeants syndicaux, d'agriculteurs, de chefs d'entreprise qui l'utilisent encore comme tel : "J'ai travaillé au Plan" ; "Je suis venu au Plan " ; "Ça fait plaisir de revenir au Plan."

Ont-ils jamais été collectivistes ou dirigistes ? Non point. Le Plan, d'un lieu assigné et d'une dimension temporelle quinquennale, est devenu une marque et un symbole de ralliement. Celle-ci est dotée d'un actif immatériel dont le pouvoir attractif est encore très fort. Personne ne refuse de venir travailler au Plan. En deux ans et demi, j'ai pu le vérifier chaque jour.

J'ai pensé proposer d'autres noms moins urticants pour les idéologues libéraux. J'y ai renoncé, car on ne dira pas de sitôt : "Je vais à la prospective." Quant au titre de commissaire, dont j'aurais pu me passer, il désignait la singularité de l'institution plutôt qu'une référence aux commissaires du peuple. Un nom propre doté d'un actif immatériel, une véritable marque sont-ils inutiles aujourd'hui ? Je ne le crois pas. Les appellations plus en vogue, comme les centres, les espaces ou les conseils, sont de moins en moins contrôlées, et leur multiplication autour du premier ministre contribue moins aux décisions qu'à éviter d'en prendre.

Enfin, le Plan est une institution de la République. Depuis 1946, les gaullistes s'y sont attachés, jusqu'à l'actuel président de la République, qui a résisté, à plusieurs reprises, à la tentation d'un meurtre symbolique sans risques. Le Plan est une administration de mission dotée de quelques singularités qui la rendent paradoxale. "Service du premier ministre" , il a toujours été au service de la nation. Rattaché à Matignon, il s'est toujours caractérisé par sa liberté et son "indiscipline intellectuelle" (Pierre Massé).

Les tensions avec l'exécutif ont été nombreuses et fréquentes, car un rapport du Plan a toujours fait autorité. Mais quand le général de Gaulle demandait à Pierre Massé de ne pas rendre publiques ses prévisions de chômage, il les publiait quand même, sans que son institution en soit menacée pour autant. Un autre paradoxe du Plan tient au fait qu'il ne dépose pas de brevets et ne dispose pas d'une propriété intellectuelle. Il a souvent fonctionné par percolation : un rapport trop tardif pouvait paraître après que des décisions eussent été prises, mais les décideurs appartenaient au groupe de travail concerné.

Le Plan a plus récemment inventé le chèque emploi-service et développé les prémisses du revenu minimum d'insertion (RMI) et de la contribution sociale généralisée (CSG). Les effets de ses travaux sont parfois différés, comme ce fut le cas du rapport Charpin sur les retraites, commandé par Lionel Jospin, mais appliqué par Jean-Pierre Raffarin. Une telle institution serait-elle devenue inutile ?

Trêve de paradoxes, voici une vraie contradiction. On supprime le Plan alors que, jamais, sous la dictature du court terme, on n'a eu autant besoin d'une institution qui fasse du long terme son horizon quotidien. La prospective sert à préparer l'avenir. Surtout quand les décisions sont urgentes. Sous la pression des événements, chaque décision doit pouvoir être située dans un scénario qui permet de penser ses conséquences à dix ou quinze ans, même si ces échéances échappent au temps électoral.

Ces trois caractéristiques du Plan  un lieu, une marque, une institution  et ces deux dimensions  long terme, transversalité  constituent des ingrédients ou des invariants qui ont permis ses mutations successives. Car le Plan a profondément évolué, et il pouvait encore le faire. Il ne s'agit plus, aujourd'hui, de reconstruire la France ni d'organiser une planification.

Depuis la mission redéfinie avec Jean-Pierre Raffarin, le Plan travaille sur la prospective de l'Etat stratège. Quoi de plus nécessaire, alors que l'Europe et la décentralisation obligent à redéfinir, pour les quinze ans à venir, les contours de l'Etat et les meilleures manières d'assurer l'intérêt général. Comme administration de mission, le Plan avait retrouvé souplesse et réactivité. Plusieurs ministres lui passaient des commandes. Jean-Louis Borloo le faisait intervenir en amont du plan de cohésion sociale ; Catherine Vautrin [ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité] et Philippe Bas [ministre délégué à la Sécurité sociale] le chargent de la prospective des maisons de retraite, car le Plan avait anticipé le problème de la canicule ; Gérard Larcher [ministre délégué à l'emploi] lui demande d'élaborer des indicateurs d'alerte pour les zones d'emploi menacées ; la commission des finances de l'Assemblée nationale lui fait effectuer un premier travail concernant l'efficacité de la baisse des charges patronales ou la méthode d'évaluation des sociétés d'autoroutes ; on le sollicite sur la grippe aviaire, sur l'avenir de la mer ou les services à la personne.

Et, dans le même temps, le Plan explore des voies nouvelles pour l'emploi industriel, les intermittents du spectacle, la croissance des entreprises, l'attractivité scientifique de la France, la prospective des métiers et des qualifications, la conduite du changement dans la réforme de l'Etat, les besoins de l'immigration, la nécessité de renforcer le fait syndical, etc.

Certes, les critiques existent, mais je connais peu d'institutions qui ont si profondément transformé leur management, leurs méthodes d'évaluation, leurs processus de recrutement et amélioré leur réactivité.

Cette capacité d'évolution n'est pas récente. Elle s'est rodée tout au long de l'histoire avec des à-coups, des freinages et des accélérations. Pour remplacer le Plan, on continuera sans doute à créer de multiples conseils, avec, chacun, leur thématique et leur discipline, quand le Plan conduisait sans cesse aux frottements des disciplines dans l'indiscipline et à l'articulation des problèmes à résoudre dans la réflexion sur les rôles à venir de l'Etat.

Un dernier mot, enfin, sur cette suppression qui trouble, car elle s'insère dans un discours sur la réforme de l'Etat : une décision sans consulter ni le patron du Plan ni ses salariés ; un projet flou et vague ; un temps de préparation infime ; le mépris pour tous ceux qui ont essayé de transformer l'institution, depuis deux ans et demi, en fonction de sa nouvelle mission. Dans son rapport "Ariane" ­, le Plan proposait une sorte de guide pour conduire le changement dans l'Etat et les services publics. La voie choisie dans ce cas précis y était décrite comme un sens interdit. C'est un gâchis. L'histoire ne se traite pas au fil de l'épée.

Alain Etchegoyen a été commissaire au Plan de 2003 à 2005.

par Alain Etchegoyen

Article paru dans l'édition du 03.11.05

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Snif, snif, encore des fonctionnaires qui vont aller dépenser nos sous dans d'autres ministères.

Le simple fait que la France a eu un "Commissariat Au Plan" montre à quel degré le communisme y a fait des ravages.

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Moi qui pensait, avec la prétention propre aux Français, que nous étions les seuls en Europe !

Dis-toi que quand la gauche française a une grande idée étatiste, le parti socialiste belge se fait un devoir de la reproduire, mais le plus souvent deux ou trois ans plus tard, quand la mesure a déjà échoué en France !

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Invité khano-et-khayek
Snif, snif, encore des fonctionnaires qui vont aller dépenser nos sous dans d'autres ministères.

Ou un planqué qui va trouver un poste un peu plus plan-plan, digne du plancher des vaches de l'administration*.

EDIT: Article de l'Expansion datant du 01/06/2003

Beaucoup, d'ailleurs, s'interrogent sur le véritable sens de cette nomination, soupçonnant le gouvernement de vouloir torpiller cette institution poussiéreuse.

Nous trouvions ses rêves de conquêtes un peu loufoques… :icon_up: Finalement, et si Freeman était l'avenir du libéralisme français !? :doigt:

…auquel le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a demandé de réfléchir à l'état de la France dans vingt ans.

Le vrai surréalisme serait de voir ce qui était prévu et ce que la France sera vraiment dans vingt ans !

[*on avait plan-plan cucul mais on trouvait que là, c'était définitivement trop…]

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Invité khano-et-khayek
On supprime le Plan alors que, jamais, sous la dictature du court terme, on n'a eu autant besoin d'une institution qui fasse du long terme son horizon quotidien.

C'est sûr qu'une institution qui pérennise la bêtise et plannifie les problèmes de demain…

Khano: L'air de rien, c'est un mini mur de Berlin qui tombe, non ?

Khayek: Déchante, mon bougre et lis ça:

Sophie Boissard dirigera le futur Conseil d'analyse stratégique, voulu par Dominique de Villepin pour remplacer le Plan.

On change le décor, on change les acteurs mais la pièce est la même… Le Roi est mort, vive le Roi (?) (peu d'infos trouvées sur le nouveau né…)

Pour la fin de la petite histoire: Réactions de Etchegoyen - 28.10.2005

[Tiens au fait, pourquoi dit-on d'un ordi qu'il plante ? Question sérieuse même si elle est dans la continuité des débilités précédentes]

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Marque, symbole, long-terme, experts, bla bla bli, bla bla bla.

Concrètement, quels effets a eu ce plan ? Quelles réalisations concrètes ?

Je passe sur les critères de pertinence et cohérence liés à ses objectifs et son mode de fonctionnement, mais du point-de-vue des retombées : efficacité et efficience (rapport aux moyens, au temps, à l'argent…) ? Impact (actions concrètes sur l'environnement) ?

Une bonne nouvelle en somme. Le début de la fin de l'ultra-théodulisme ? :icon_up:

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