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L'islam Au Supermarché


Punu

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Un texte que j'ai trouvé intéressant.

http://www.lecourrier.ch/modules.php?op=mo…ng=fra&topic=16

ESSAI - Patrick Haenni décrypte l'islam consumériste et conservateur qui se superpose, dans le monde musulman, à un islamisme politique essoufflé. Ce politologue lausannois y voit le triomphe du modèle américain.

Dépêtrée du projet d'instauration d'un Etat islamique par les armes, une islamisation consumériste et conservatrice s'installe dans le monde musulman. L'islam de marché, comme le définit le politologue lausannois Patrick Haenni, défend une «théologie de la prospérité»: réussite sociale, entreprise privée et pensée positive américaine sont ses credos. Loin des Lumières, cette religiosité dessine les contours d'une révolution conservatrice comparable à celle qui a triomphé dans les Etats-Unis de George Bush. Cet islam est né parallèlement à l'affirmation d'une nouvelle culture bourgeoise, pieuse et cosmopolite. Restreint à ces catégories de population, il gagne pourtant beaucoup de terrain dans les universités arabes et dans les classes populaires urbaines. Patrick Haenni, qui a passé douze ans en Egypte, signe un essai[1] original dans lequel il décrypte ce cocktail fait de religion, de morale et de marché.

Qu'entendez-vous par islam de marché?

– J'ai écrit cet essai en partant d'un constat fait en Egypte, mais exportable ailleurs dans le monde musulman: si l'islamisation est plus forte que jamais, depuis la moitié des années 1990, les militants islamistes ne sont pas aussi centraux qu'on peut le penser dans ce processus. La vieille garde a suscité une fatigue idéologique. Des déçus de l'islam politique ont rejeté le discours obsolète centré sur la haine de l'Occident, l'instauration du califat et de la charia. Devenus hommes d'affaires, ces entrepreneurs religieux ont rejeté l'autoritarisme des Frères musulmans, sans toutefois devenir des renégats. Ils prônent la dérégulation de l'Etat. S'adaptent aux valeurs néolibérales du profit, du management et de la réussite sociale sur le modèle de la pensée positive américaine. Décomplexé face à la richesse, le personnage central est le battant[2].

Cet islam passe selon vous par un consumérisme sécularisé.

– Son affirmation passe toujours plus par des supports sécularisés tels que des sodas identitaires comme Muslim Up ou des vêtements de streetwear comme la marque MBN (Muslim by nature). Quant à la prédication, elle s'est dépolitisée et décloisonnée. Auparavant, on achetait les cassettes de prêches à 2 livres (environ 50 centimes) sur les parvis des mosquées. Aujourd'hui, on trouve aussi des cassettes chic plus soft et plus chères au Carrefour de Maadi, une banlieue bourgeoise du Caire. Ces cassettes à l'eau de rose ont abandonné l'enfer pour parler d'une religion d'amour.

Les nouveaux prédicateurs comme Amr Khaled en Egypte ou Abdullah Gymnastiar en Indonésie ont, à l'image des télévangélistes américains, conquis les émissions de variété. Les talk-shows d'Amr Khaled sont interactifs et privilégient l'expérience de la foi. Son message est fixé sur l'individu. Il aborde la repentance, le pardon, un Dieu d'amour, soit des thèmes connus du christianisme.

Quels autres produits sont issus de cet islam de marché?

– Il y a le business sous étiquette éthique des Mecca Cola ou autres Qibla Cola, dont un pourcentage du prix d'achat va à des oeuvres. Les vêtements islamiques, eux, suivent la dernière mode parisienne. Le hijab (voile, ndlr), comme signe d'une affirmation idéologique, s'est normalisé. Son port s'est conjugué à celui d'un T-shirt, puis d'un jeans moulant. On crie au paradoxe, mais les jeunes femmes répondent à une exigence de pudeur qu'elles refusent de voir comme un programme d'exclusion totale et de rupture avec la culture de masse. Enfin, la chanson militante et le rap islamique se sont aussi dilués, la morale ayant remplacé la militance.

En quoi a-t-on affaire à une «révolution conservatrice»?

– Cet islam n'offre aucune alternative à un monde globalisé dont on accepte les règles de compétition. Les valeurs de justice sociale et le projet d'un islam des Lumières passent à la trappe. Car cet islam ne renonce en rien à la rigueur morale. Tout au plus en tempère-t-il la sévérité. Les jeunes Frères «déçus» intègrent bien le référentiel démocratique, acceptent la place des femmes en politique. Mais ils refusent la pluralisation des modes de vie, continuant de rejeter l'homosexualité. Cet imaginaire politique n'est pas sans rappeler le conservatisme américain.

Vous faites justement le parallèle avec la révolution conservatrice qui a triomphé dans les Etats-Unis de George Bush.

– En contestant la vision laïque de la modernité, le monde musulman rejoint la croisade américaine contre le modèle français des Lumières, laïc et étatisant. Suivant la doctrine culte des néoconservateurs américains, les nouveaux islamistes caressent le projet de donner aux institutions religieuses le rôle de dégraisser l'Etat. Aux Etats-Unis, la tendance est à confier la redistribution sociale aux associations religieuses, jugées plus efficaces que l'Etat. Au-delà des sympathies idéologiques, on observe déjà des alliances objectives. Selon un «axe de la vertu», conservateurs américains et acteurs musulmans se rejoignent sur des combats moraux, par exemple à l'ONU contre l'homosexualité. Les islamistes turcs, quant à eux, appellent ouvertement à préférer la laïcité américaine à la laïcité française.

Enfin, les Etats-Unis rêvent d'un islam «modéré», à savoir libéral et conservateur, capable de conduire un Grand Moyen-Orient démocratique. L'islam de marché est le meilleur allié d'une Amérique qui a compris que ce projet ne peut se faire sans la religion.

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A mon sens (mon interprétation est peut être fausse), il semble montrer qu'un islam modéré et un capitalisme "relativement" libéral est en cours de développement dans les pays islamistes, au contraire de l'opinion répandue qui consiste à voir dans ces derniers des états rétrogrades et fossilisés dans une vision archaïque de la société.

Maintenant, je ne connais pas ces pays là et je ne sais pas si la vision développée dans ce texte est réellement représentative de ce qui est en train de se passer là bas, où si l'image colportée par les médias est plus proche de la réalité.

?

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Je connais un peu les Emirats Arabes Unis, le Koweit et le Qatar, en plus du Liban, qui n'est pas à proprement parler un pays musulman. Ce qui se passe dans ces pays est plutôt encourageant. Islam modéré, capitalisme libéral et ouverture internationale me semblent un bon résumé de leur évolution. Ce sont des pays très en pointe par rapport à l'Arabie Saoudite cependant.

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Je connais un peu les Emirats Arabes Unis, le Koweit et le Qatar, en plus du Liban, qui n'est pas à proprement parler un pays musulman. Ce qui se passe dans ces pays est plutôt encourageant. Islam modéré, capitalisme libéral et ouverture internationale me semblent un bon résumé de leur évolution. Ce sont des pays très en pointe par rapport à l'Arabie Saoudite cependant.

Ceci tendrait à confirmer la pervasivité du libéralisme et sa propension à dissoudre discrètement les totalitarismes… (à mon avis).

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Le développement de l'entreprise privée et une approche plus individualiste de la religion sont en effet des phénomènes positifs. L'idée que le "monde musulman" (existe-t-il d'ailleurs ?) est figée ou monolithique est de toute façon absurde.

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  • 6 months later...
Invité (=S=)

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Le succès des «calvinistes islamiques» de Kayseri

Jeanne Lhoste

24 mai 2006, (Figaro - L'actualité économique)

Une nouvelle génération d'hommes d'affaires a fait de cette ville anatolienne un centre industriel florissant, laboratoire d'une nation à la fois musulmane et libérale.

Site religieux à Kayseri en Turquie.

Une jolie blonde moulée dans un jean pose nombril à l'air sur la couverture du catalogue de la dernière collection de «Keepout». Cette société turque spécialisée dans le prêt-à-porter pour adolescents est dirigée par Celal Hasnalçaci, un homme pieux qui a déjà effectué quatre pèlerinages à La Mecque. Entre la moue charmeuse de son modèle et ses convictions religieuses, comme le port du foulard pour les femmes, il ne voit «aucune contradiction» : «Il faut bien s'adapter à la mode et aux désirs de la clientèle.» Pour ce patron de 52 ans à la tête d'une entreprise qui confectionne 2 000 vêtements par jour, foi et affaires sont non seulement indissociables mais «un musulman a le devoir d'être riche, explique-t-il chaleureusement, afin de servir sa communauté».

Celal Hasnalçaci partage ce credo avec les autres hommes d'affaires de la ville de Kayseri, située en plein coeur de l'Anatolie. Convertis aux règles du marché et fidèles à la mosquée, ces businessmen ont fait émerger une pratique de l'Islam compatible avec le monde moderne. Ils symbolisent une Turquie musulmane et libérale, promue par le gouvernement AKP. Pour eux, le travail est érigé au rang de devoir religieux. Une pratique ascétique des affaires qui leur vaut d'être comparés aux protestants.

Les leçons de Max Weber

En moins de vingt ans, ces entrepreneurs anatoliens ont transformé une cité commerçante assoupie à l'ombre des neiges éternelles du volcan Erciyes en centre industriel prospère. Troisième zone industrielle du pays, capitale du meuble de la Turquie, centre de production de 1% du tissu denim mondial… La ville a postulé pour entrer dans le «Guinness book des records» en lançant en même temps la construction de 139 usines. Kayseri et ses 600 000 habitants vivent au rythme de ces entreprises florissantes. En toute discrétion. Les strictes avenues quadrillant l'agglomération, les façades grises des immeubles : rien ne laisse deviner une telle prospérité. A Kayseri, les 4 x 4 rutilants adorés des nouveaux riches turcs sont encore plus rares que l'alcool dans les restaurants. L'austérité est la règle. «Nous ne jetons pas l'argent par les fenêtres, nous ne gaspillons rien et réinvestissons tout, voilà la mentalité d'ici», résume Celal Hasnalçaci. Une ligne de conduite toute protestante.

Sukru Karatepe, l'ancien maire de Kayseri, revendique cette comparaison. Ce professeur de droit explique que pour comprendre ses administrés, il faut lire l'essai de Max Weber, «L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme». Le think-tank allemand European Stability Initiative (ESI), a également ausculté les transformations à l'oeuvre à Kayseri. Dans un rapport intitulé «Les Calvinistes islamiques» (1), ce cercle de réflexion souligne que «la plupart des hommes d'affaires de Kayseri attribuent leur succès économique à leur «éthique protestante de travail». Ce parallélisme a déclenché des débats enflammés dans les médias turcs. Les fondamentalistes y ont vu une tentative subversive de christianisation des musulmans, une volonté sacrilège de substituer Jésus-Christ à Mahomet. «Les laïcs nationalistes l'ont pris pour une attaque contre la république d'Atatürk, qui a prôné l'abandon de l'islam pour rentrer dans la modernité», explique Erkut Emcioglu, chercheur à l'ESI. Le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, a tranché en déclarant que la comparaison était «tout à fait juste».

A Kayseri, la religion est au service du travail. Le Coran fait office de manuel du parfait petit entrepreneur. Même le fils du mufti (autorité religieuse) s'est lancé dans le business. «Mon père m'a encouragé dans cette voie pour participer au développement de la région», se souvient Tahir Nursaçan, directeur de Milkay. Son groupe, spécialisé dans le feutre industriel, réalise un chiffre d'affaires annuel de 80 millions d'euros. Dans une usine, il a aménagé une salle de prières ornée d'arabesques bleues. Agenouillé, un ouvrier prie à l'écart de la rumeur des machines. Des pancartes suspendues dans les ateliers édictent les commandements de Milkay : «La qualité c'est accomplir sa tâche correctement du premier coup», «Il faut aimer son travail». Pour Tahir Nursaçan, «l'ennemi de la religion n'est pas la production mais la fainéantise».

Laboratoire de l'AKP

Dans la poussière de la zone industrielle, le dôme d'une mosquée rutilante apparaît sous le soleil. Un don des hommes d'affaires. Des bus y conduisent des milliers d'ouvriers à la grande prière du vendredi. Le petit bourg d'Hacilar est le berceau de la révolution économique de Kayseri. Il ne faut pas se fier à ses humbles maisons de pierre. Neuf de ses entreprises se sont hissées parmi les 500 plus importantes de Turquie. «Mahomet était commerçant, raconte avec bonhomie Ahmet Herdem, le maire d'Hacilar. Il est tout naturel que les familles d'ici fassent des affaires.» Les plus fortunées financent l'Association d'entraide d'Hacilar dont le budget annuel de 800 000 euros équivaut à un tiers de celui de la municipalité. L'Islam commande en effet de reverser 2,5% de ses revenus à des oeuvres charitables. Modernisation de la clinique, aide aux mariages, constructions de logements pour l'imam et les instituteurs… «Et 80% des fonds partent dans le financement des études supérieures de 700 de nos filles et garçons d'origine modeste, insiste avec fierté Ahmet Herdem, également vice-président de cette association. Nous ne demandons rien à l'Etat et ne comptons que sur nous-mêmes.»

Kayseri ne réclame rien à l'Etat turc mais entretient des liens étroits avec le gouvernement. L'AKP a raflé 70% des voix aux dernières élections municipales et Abdullah Gül, ardent défenseur d'une Turquie européenne, est originaire de Kayseri. Après avoir réformé le fonctionnement de la municipalité en sous-traitant les services et en réduisant le nombre de fonctionnaires, l'ancien maire de Kayseri prodigue aujourd'hui ses recettes auprès du premier ministre Recep Tayyip Erdogan à Ankara, en qualité de conseiller à la réforme de l'administration locale. A l'échelle du pays, la formation au pouvoir mène une politique comparable de désengagement de l'Etat. Libérale dans les affaires et conservatrices dans les moeurs, Kayseri fonctionne comme un laboratoire de l'AKP. Le modèle miniature de la Turquie idéale selon le gouvernement.

(1) Consultable en français sur www.esiweb.org

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L'idée que le "monde musulman" (existe-t-il d'ailleurs ?) est figée ou monolithique est de toute façon absurde.

Certes mais les explications simples sont toujours les plus séduisantes. Elles rassurent car elles présentent un schéma aisément compréhensible qui ne remet pas en cause les petites certitudes.

Dans certains milieux on ne parle que de l'oumma en omettant de préciser qu'elle est parcourue d'une multiplicité de courants, que les deux grandes familles sunnites et chiites sont à couteaux tirés, etc. Il est plus simple de proclamer que la décadence de l'occident judéo-chrétien est dû à l'islamisation de ce dernier plutôt que de procéder à un examen de conscience qui pourrait conduire à des découvertes désagréables.

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Le monde Arabo-musulman n'est pas figé mais pas spécialement réactif non plus. En comparaison avec l'Occident ou l'Orient, il se trouve dans une sclérose temporelle de longue dates et l'Islam n'y est pas étranger.

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C'est vrai que cet article me semble capturer assez bien mes collègues Egyptiens, qui prient beaucoup mais ne sont pas pour autant favorables à l'accession au pouvoir des Islamistes (considérés comme incompétents en économie).

Ceci dit, ils sont unaniment convaincus que les responsables des attaques du 11 septembre, et tous les attentats terroristes commis en Egypte, sont les juifs.

(je sais, ça n'est qu'un échantillon d'une douzaine de personnes, mais l'unanimité me frappe).

Beaucoup de haine dans les coeurs, donc.

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je trouve le dernier billet de Sorman intéressant.

Le nationalisme et le socialisme soviétiques, deux idéologies occidentales et contemporaines, ont détruit le ressort économique du monde arabe.

Jusque dans les années 1950, l’Egypte, la Syrie, l’Irak paraissaient engagés sur une trajectoire historique comparable à celle de toutes les économies émergentes. La vie culturelle en Egypte, en Syrie, était féconde, l’atmosphère des villes plutôt libérale, la presse et les universités ouvertes sur le monde. Mais la combinaison du nationalisme et du socialisme représenté par Nasser en Egypte et par le parti Baath en Syrie et en Irak, a porté un coup peut-être mortel, à cette partie du monde musulman. Au nom de la dignité nationale recouvrée ? Certes . Hélas, aussi, au nom de l’efficacité que l’on cherchait alors du côté de l’Union soviétique.Les entrepreneurs, les intellectuels, les étrangers furent expulsés, l’économie nationalisée : on connaît le résultat.

Sur ces décombres , nul ne peut reconstruire aisément.Les tyrannies qui perdurent dans le monde arabe , deviennent héréditaires (sauf intervention américaine !). L’état de droit est sans cesse repoussé au lendemain.Les économies se privatisent un peu mais lentement et souvent au profit de l’entourage du despote, plus doué pour le pillage que pour l’investissement.

Attribuer la pauvreté du monde arabe à l’Islam serait donc prendre l’effet pour la cause. C’est parce que le nationalisme et le socialisme ont détruit ces sociétés que le peuple désespéré se tourne vers une autre solution , l’Islam politique.Facteur aggravant : le fait que certains tyrans comme Moubarak , en se réclamant de l’économie de marché, privatisent au bénéfice de leur cour, détruit la réputation du libéralisme.

Mon auditoire saoudien, plutôt de tendance libérale, sembla approuver mon hypothèse ; quelques islamistes présents et repérables ne me contredirent pas. Mais ceci est une autre histoire, à suivre.

http://gsorman.typepad.com/guy_sorman/2006…uoi_les_ar.html

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Oui oui, j'assume :icon_up:

Je l'avais utilisé pour l'état ici (pardon pour l'autocitation) …

C'est une des caractéristiques communes de l'étatisme et du libéralisme (la seule peut-être bien): ce sont des principes qui, finalement, peuvent s'infiltrer partout. L'étatisme, cependant et par nature autophage, finit toujours par céder devant le libéralisme.

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