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Heidegger et le nazisme


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Le Monde.fr - Heidegger en grand frère nazi

La correspondance entretenue par le philosophe Martin Heidegger avec son frère Fritz, dont des extraits viennent d’être publiés, renforce l’idée qu’il fut un nazi de conviction.

http://www.lemonde.fr/culture/article/2016/10/13/heidegger-en-grand-frere-nazi_5013302_3246.html

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Mouais... Ils le descendent parce que ce n'est pas un penseur indispensable. Cela fait s'offusquer quelques incultes qui découvrent l'antisémite voire le nazi (le contraire suivant la sensibilité) dans une figure d'autorité pour la première fois. Si c'était une figure de plus haute importance ils ne le sauraient simplement pas.

Par ailleurs dès 27, dans Être et Temps il y a tout le nécessaire pour comprendre que Heidegger est proche d'une variété romantique du fascisme. De là à soutenir les nazis il n'y avait qu'un pas que bien des gens moins prédisposés ont franchi.

  • Yea 1
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Je lis un extrait au hasard de l'article que tu viens de poster Nigel, et je tombe sur ça :

 

On trouvera ce symptôme « adolescentrique » également chez Carl Schmitt, son alter ego, comme chez Sartre et tous les autres. Si Heidegger et Schmitt ont pu adhérer au nazisme, c’est bien parce que leur ignorance abyssale des réalités économiques les prédisposait à devenir socialistes, nationalistes certes, mais socialistes tout de même.

Moui... Expliquer l'adhésion au nazisme de Heidegger et Schmitt par leur "ignorance abyssale des réalités économiques" est sacrément réducteur... Pour le coup, Damien Theillier semble souffrir du même mal que Benoît Malbranque : vouloir réduire le nazisme à une analyse/vision économique et tenter d'expliquer toutes les mesures politiques et actions de l'État nazi par ce seul prisme (ce qui donne chez Malbranque et son Socialisme en chemise brune un livre quelques fois intéressant, souvent bancal, avec des sources parfois douteuses et sombrant par moment dans le plus parfait ridicule comme ce chapitre dédié à l'antisémitisme nazi).

Quant à rapprocher Heiddeger et Schmitt... Je ne connais que très peu la pensée de ces deux auteurs mais, de mémoire (je n'ai pas mon La révolution conservatrice allemande sous la république de Weimar de Louis Dupeux sous la main), leurs fondements intellectuels, leurs Weltanschauung et les raisons de leur adhésion au nazisme sont assez différents...

Heidegger est notamment inspiré par les idéalistes (Schelling et Hegel) et romantiques (Hölderlin) allemands et leurs idées, idées dont on retrouve des traces dans la doctrine nazie (tout ce qui a trait au concept de nation, de "races" notamment, une certaine idéalisation du passé peut-être, aussi). Donc, comme le soulignait Anton_K, il n'est peut-être pas étonnant que Heidegger ait soutenu le régime nazi, des passerelles intellectuelles existant entre les deux.

Schmitt, de son côté, est un juriste hobbesien et se rapprochera du pouvoir national-socialiste par curiosité et opportunisme, y voyant l'occasion de mettre en application certains de ses concepts (si ma mémoire ne me joue pas des tours).

Bref, il y a peut-être mieux que cet article pour découvrir la pensée de Heidegger.

(Note : comme il est très probable que je me plante dans ma très courte analyse de Heidegger et Schmitt, remarques et corrections sont les bienvenues ;)).

 

Edit : Et je ne dirai rien des piques adressées à Platon...

  • Yea 1
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Je n'ai jamais pu m'intéresser à son oeuvre. Parfois, je lis des extraits et puis j'oublie tout aussitôt. Quelqu'un pourrait m'éclairer sur ses apports ?

 

Il n'y en a pas beaucoup, mais à mon avis c'est voulu. Être est Temps est sensé être un livre sur ce que veut dire "être", donc une ontologie (un discours sur l'être), mais c'est surtout un livre sur l'ontologie.

 

Je vous fais Être et Temps en trois paragraphes ?

 

La première partie de ce bouquin consiste en la déconstruction de la métaphysique aristotélicienne et de toute ontologie scientifique, c'est-à-dire de tout discours qui décrirait objectivement des êtres, que Heidegger appelle des "étants". Il montre ensuite que la métaphysique aristotélicienne et son prolongement scientifique échouent à "poser la vraie question de l'être", et se limitent à la description des "étants". Il oppose le discours sur les étants à ce qu'il considère comme étant la vraie ontologie, c'est-à-dire "le discours sur l'être en tant qu'il se pose la question de l'être". A mon humble avis c'est là qu'il se goure : toute métaphysique n'est pas soit l'exploration de la question de ce que veut dire être, soit la description des choses qui sont. Mais pour revenir à Heidegger ça l'amène à définir un être qu'il appelle le Dasein, aussi appelé l'être au monde, et qui est en gros l'être qui a une perspective sur le monde ET la capacité à se poser la question de l'être. A quel point est-ce que c'est équivalent pour Heidegger, voilà une question compliquée.

 

Donc déjà Heidegger est un subjectiviste radical, il refuse même de dire que le Dasein est un être humain, ou une conscience, à la limite une perspective... en gros le truc ne doit avoir aucun contenu positif qui ferait de l'ontologie un discours sur un étant objectif. La deuxième partie du bouquin consiste en la fameuse phénoménologie, c'est-à-dire une description de l'être au monde, de ce que ça fait d'être le Dasein. Et autant avant le parti pris était radical mais plus ou moins rigoureux (évacuer tout contenu positif de l'ontologie), autant là ça a tendance à devenir foutoir mais l'essentiel c'est la recherche de l'authenticité qui est en gros la manière pour le Dasein de se concevoir lui même tout en restant en accord avec sa nature d'être qui "pose la question de l'être" (donc en ne se confondant pas lui même avec un étant déterminé). De là vient une grosse partie de la métaphysique existentialiste qui considère que tout être est avant tout une possibilité et que tout ce qui est fixé ou identifié à une nature particulière dans un être est contraire à la liberté ou l'authenticité, Sartre va notamment plagier tout ça ce qui va donner la culte de l'indéterminé dans la métaphysique contemporaine, à mon avis.

 

Donc, la phénoménologie de l'être au monde : le Dasein est anxieux, mais évidemment l'angoisse authentique n'est jamais la peur de quelque chose d'objectif, comme vous l'imaginez. L'angoisse vient du fait que bien que le Dasein, qui est essentiellement possibilité, est confronté au fait de sa mort prochaine, d'où l'impératif de vivre exister authentiquement (si vous trouvez que le Dasein ressemble de plus en plus à un être humain avec une psychologie, vous commencez comme moi à être un peu sceptique). L'ontologie se transforme alors surtout en la question de savoir ce qu'est l'authenticité en actes et là ça traine des pieds : l'existence authentique nécessite l'acte authentique, mais le Dasein n'a aucun moyen de savoir, par l'ontologie, ce que sera cette action, mais il sait qu'elle lui sera révélée dans la situation authentique, mais le Dasein ne peut pas non plus savoir ce que sera la situation authentique... Du coup Heidegger digresse sur les modes authentiques et inauthentiques de l'existence, notamment du rapport à la mort, et ça ressemble de plus en plus à de la mauvaise psychologie, mais en gros l'idée est qu'il faut accepter l'inéluctabilité de la mort et s'y confronter, si possible souvent.

 

Toujours est-il qu'à un moment il s'agit de savoir quel est le mode authentique de l'existence collective, et là badaboum, c'est le volk qui va se saisir dans la conscience de son histoire collective dans une situation authentique, et accomplir de magnifiques actes héroïques authentiques en allant au devant de la mort.

 

Tout d'un coup l'ontologie a plein de contenu. Etonnant, non ?

  • Yea 6
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Expliquer l'adhésion au nazisme de Heidegger et Schmitt par leur "ignorance abyssale des réalités économiques" est sacrément réducteur...

 

C'est non seulement idiot, mais c'est carrément factuellement faux en ce qui concerne Schmitt. Sous Weimar, constitutionnaliste respecté, il fréquentait régulièrement les élites économiques. Et sa conception de l'Etat total comporte typiquement une dimension économique:

 

« Une suprématie de l'Etat sur l'économie n'est réalisable qu'au moyen d'une organisation unie, du type d'un Ordre. [...] Le fascisme, tout comme le communisme, a besoin d'un tel appareil pour dominer l'économie. » (Carl Schmitt, en 1929).

 

(je n'ai pas mon La révolution conservatrice allemande sous la république de Weimar de Louis Dupeux sous la main)

Vil pécheur :P

En gros Heidegger (je le connais beaucoup moins bien que Schmitt) est un réactionnaire plus proche du courant völkisch (même si les thématiques raciales n'apparaissent pas publiquement avant 1933), nostalgique du monde rural, hostile au développement technique, à la démocratie, au monde moderne "inauthentique", etc.

Alors que Schmitt développe une pensée beaucoup plus politique et "modernisatrice". Son problème, c'est de développer un Etat suffisamment fort pour éviter à la fois des scissions territoriales et une révolution communiste (deux formes de guerres civiles au fond. D'où la fascination pour Hobbes).

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[...] un réactionnaire [...] nostalgique du monde rural, hostile au développement technique, à la démocratie, au monde moderne "inauthentique", etc.

Ce qui est effectivement (quasiment) la définition d'un romantique allemand déçu de la tournure prise par la Révolution Française. :mrgreen:

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Ce qui est effectivement (quasiment) la définition d'un romantique allemand déçu de la tournure prise par la Révolution Française. :mrgreen:

 

Le romantisme couvre en fait une palette extrêmement large d'attitudes politiques, allant du monarchisme absolutiste jusqu'au marxisme, en passant par diverses formes de réformismes et d'apolitismes. Si ça t'intéresse, je te conseille vivement Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité (de Michael Lowy et Robert Sayre). En termes d'histoire des idées, c'est très bien.

 

Mais tu as raison de dire que les völkisch sont une extension des variantes les plus réactionnaires du romantisme allemand.

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Le romantisme couvre en fait une palette extrêmement large d'attitudes politiques, allant du monarchisme absolutiste jusqu'au marxisme, en passant par diverses formes de réformismes et d'apolitismes.

Parles-tu du romantisme en général ou plus spécifiquement de l'allemand ?

Car, à l'exception de Bettina von Arnim, j'avais jusqu'à présent plutôt tendance à considérer les romantiques allemands comme d'anciens "progressistes" enthousiasmés par la Révolution Française et devenus "réactionnaires" par déception.

En effet, eux qui espéraient que la Révolution (idéal d'émancipation politique selon eux) serait suivi d'une émancipation vis-à-vis des conventions sociales "inauthentiques", ils purent au contraire en observer les méfaits avec la Terreur avant de voir leur pays envahi par un Napoléon qui non seulement voudra leur imposer un ordre centralisé et étranger mais se présentera de plus comme l'héritier des Lumières. D'où l'émergence du nationalisme chez les romantiques, d’une critique des Lumières, d'une idéalisation du passé (du Moyen-Âge plus spécifiquement) ainsi que d'une inclinaison pour le mysticisme.

Une opinion d'ailleurs renforcée par le fait que les révolutionnaires conservateurs allemands semblaient, dans l'ensemble (à l'exception de Schmitt donc et de, peut-être, quelques autres), très tributaires de ce courant de pensée.

Merci en tout cas pour la référence, je la note.

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PS : ceci-dit, maintenant que tu le soulignes, il est vrai que toutes les communautés agraires et/ou prônant un retour à la nature apparues en Allemagne à la fin du XIXème n'étaient pas nécessairement völkisch, et ce, malgré une commune influence romantique.

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Parles-tu du romantisme en général ou plus spécifiquement de l'allemand ?

Du romantisme en général. Dans la définition de Lowy & Sayre, qui est du coup extrêmement large (le romantisme comme attitude par rapport à la modernité, et non comme courant esthétique ; qui se prolonge jusqu'au XXème siècle).

 

J'avais jusqu'à présent plutôt tendance à considérer les romantiques allemands comme d'anciens "progressistes" enthousiasmés par la Révolution Française et devenus "réactionnaires" par déception.

Hum, je pense que ce que tu décris n'est pas autre chose qu'un genre de romantique allemand. Mais je pense qu'on pourrait facilement en trouver d'autres qui n'ont jamais été favorables (et donc déçus) à la Révolution française. Les exemples précis m'échappent, à vrai dire.

Et inversement, tu as des romantiques incontestablement pro-révolution française (ceux chez qui le romantisme croise l'Aufklärung , tel un préromantique comme Rousseau). Regarde Heinrich Heine. Ce n'était clairement pas un romantique réactionnaire.

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Du romantisme en général. Dans la définition de Lowy & Sayre, qui est du coup extrêmement large (le romantisme comme attitude par rapport à la modernité, et non comme courant esthétique ; qui se prolonge jusqu'au XXème siècle).

D'accord, je connais en effet nettement moins les romantismes "non-allemands".

Mais je pense qu'on pourrait facilement en trouver d'autres qui n'ont jamais été favorables (et donc déçus) à la Révolution française. Les exemples précis m'échappent, à vrai dire.

Mmmh... Je n'ai pas l'impression qu'il y ait eu énormément de romantiques allemands n'ayant pas été un jour favorables à la Révolution française. Des exemples appuyant tes dires m'échappent aussi en tout cas.

Et inversement, tu as des romantiques incontestablement pro-révolution française (ceux chez qui le romantisme croise l'Aufklärung , tel un préromantique comme Rousseau). Regarde Heinrich Heine. Ce n'était clairement pas un romantique réactionnaire.

C'est vrai.

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Si ça t'intéresse, je te conseille vivement Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité (de Michael Lowy et Robert Sayre). En termes d'histoire des idées, c'est très bien.

Je lisais une recension trouvée sur le site Persée (http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1993_num_107_1_3330) de ce livre sinon et j'avoue être un peu gêné de voir Burke, de Maistre ou Schmitt classés parmi les auteurs romantiques...

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Je lisais une recension trouvée sur le site Persée (http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1993_num_107_1_3330) de ce livre sinon et j'avoue être un peu gêné de voir Burke, de Maistre ou Schmitt classés parmi les auteurs romantiques...

 

Mais Burke est un grand nostalgique, un putain d'enfant du siècle :D

"L'âge de la chevalerie est passé. Celui des sophistes, des économistes, et des calculateurs lui a succédé ; et la gloire de l'Europe est éteinte à jamais."

-Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution de France.

J'avoue que pour Schmitt (si c'est bien ce dont parle les auteurs, mais j'ai un doute), c'est maladroit, il a quand même écrit un bouquin entier pour critiquer l'apolitisme mystique du romantisme...

 

Mais ça me semble improbable qu'ils classent Schmitt ainsi, leur typologie présente le romantisme comme de plus en plus évanescent dans la deuxième moitié du XIXème siècle, à mesure que la réversibilité des conséquences (sociales, économiques, politiques, environnementales, etc.), de la Révolution industrielle devient de moins en moins probable.

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  • 2 months later...

Heidegger and Anti-Semitism Yet Again: The Correspondence Between the Philosopher and His Brother Fritz Heidegger Exposed

 

FOR QUITE SOME TIME, there has been a fair bit of murmuring and speculation surrounding the letters exchanged between the philosopher Martin Heidegger and his brother Fritz. Those who had seen the more than 500 pieces of correspondence, which have been stored at the German Literature Archive in Marburg since 2014, knew how explosive they would be. But in accordance with the wishes of Heidegger’s family, they were not allowed to quote from them. But now — apparently in response to the intense international debate surrounding Heidegger’s anti-Semitism triggered by the publication of the Black Notebooksthree years ago — the family has agreed to release an abridged version of the letters, written between 1930 and 1946, in a newly published volume called Heidegger und der Antisemitismus (“Heidegger and Anti-Semitism”) (Verlag Herder, Freiburg 2016). Inside these pages one finds an unvarnished picture of the philosopher’s political disposition. In the Black Notebooks, a kind of diary of thoughts, Heidegger approached anti-Semitism from a philosophical remove, but these personal letters published expose him as a bona fide, unrepentant anti-Semite. They also show that — in contrast to prevailing beliefs — the Freiburg professor was politically well informed, and was an early and passionate supporter of National Socialism.

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