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Rejeter le libéralisme ? (article de J. Sapir)


Messages recommandés

L'ancien régime c'était moisi mais la restauration était crédible. Le second empire aussi. Je comprends qu'on puisse être nostalgique de cette époque-là.

La troisième république était pas mal non plus, il y avait encore des vrais libéraux comme Waldeck-Rousseau et la dépense publique augmentait peu.

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Ah Waldeck Rousseau, le gars qui a crée les subventions aux syndicats. La Belle époque. Moi c'est Mussolini qui me manque. L'alliance libéraux-fascistes contre le communisme, ça c'était du pragmatisme. Pareto ne s'y est pas trompé.

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L'action française, c'est vraiment très peu de personne.

Fais gaffe, j'ai cru entendre qu'il y avait des royalistes (ou anciens royalistes) undercover sur ce forum... ;)
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Bah les masques tombent, à la limite c'est pas mal, il manque plus que Zemmour, Onfray ou Finkielkraut disent que la dictature c'est trop bien pour rétablir la démocratie et que la paix c'est la guerre pour enfin mettre une vraie étiquette pas reluisante du tout à tous ces gens.

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Les conceptions anti-étatistes, qu’elles se parent des couleurs de la droite comme de la gauche, aboutissent à la fois à la destruction de la société mais aussi à l’établissement d’une tyrannie.

Encore un qui confond état et étatisme…

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C'est vraiment naze ce qu'il raconte, sous ses airs de vieux sage sur la montagne. Mis à part la partie sur l'Etat "collusif", mais il en tire les mauvaises conclusions Je ne sais pas quoter, mais les passages clefs (en gras pour les importants, les autres c'est pour m'amuser) :

 

> ce que l’on nomme « dictature » dans le vocabulaire du droit constitutionnel

 

je dois avoir loupé ça pendant mes cours. Moi qui croyait que ce terme n'existait pas en droit constit', me voilà gros-Jean comme devant.

Ou : comment balancer des trucs en ayant l'air de savoir de quoi on parle, mais en fait non.

 

> Les abus qui en découlèrent, et en particulier la « dictature » de Sylla [...] elle a pour but de restaurer les conditions d’application de la légalité

 

Pauvre Sylla, on lui aura tout fait. Lui qui a justement rétabli la légalité alors qu'il aurait pu être César 20 ans avant César se voit taxer d'abus.

 

> cette réintroduction de la légitimité démocratique peut ne pas être compatible avec les règles tatillonnes, les normes pointilleuses, que la légitimité bureaucratique a tissées autour de l’Etat

 

Ja, les règles tatillones et les normes pointilleuses ne peuvent pas nous empêcher de faire avancer la cause de la race supérieure/du prolétariat révolutionnaire/de la révolution nationale.

Tant de réflexion politique pour en arriver là, c'est beau. Vive la simplification de l'Etat de droit et des droits de l'Homme !

 

> on est fondé à penser que la situation exceptionnelle ne provient pas d’un événement soudain et exceptionnel (même si ce dernier peut aussi exister) mais découle en réalité de la transformation qualitative qu’a subie la situation après de multiples transformations quantitatives.

 

C'est très cohérent. Par exemple (pour reprendre l'exemple romain qu'il donne plus haut), quand Hannibal traverse les Alpes et met une peignée aux Romains c'est une multiple tranformation quantitative, et la nomination de Fabius Cunctator dictateur est une transformation qualitative.

Jargon déployé pour ramener au passage les évènements politiques au sociologisme qu'affecte une partie de la gauche intello-révolutionnaire.

 

> Ceci soulève la question du rôle positif que peut jouer, pour ce rétablissement démocratique, la légitimité charismatique.

 

C'est le vrai point de Sapir : face à l'Etat et aux "affaires", il faut un mec avec des burnes qui leur mettra un pain dans la gueule. Un peu grossier, mais l'idée des est là.

Le reste appartient au registre du "même pas faux". Un politicien charismatique peu mobiliser les foules pour transformer l'ordre politique ? Bah mince, si j'aurais su.

 

> face à l’Etat collusif qui est en train de se mettre en place, un Etat populiste, c’est à dire combinant la légitimité démocratique et la légitimité charismatique, serait de nature à changer les règles et les normes légales pour permettre un retour à l’ordre démocratique

 

Dans l'univers Sapirien, la légitimité démocratique ne découle pas de l'application de règles décidées a priori pour déterminer l'assentiment populaire. La légitimité démocratique c'est un truc évanescent, une essence qui s'attache à l'action politique : tu l'as ou tu l'as pas, et Sapir saura dire quel démagogue a la "vraie" légitimité démocratique, et quel démagogue ne l'a pas. Heureusement, moi j'aurais peur de me tromper.

 

> il ne faut pas frémir devant la possibilité d’actions « illégales » mais légitimes d’un tel pouvoir

 

"Les tribunaux révolutionnaires ? Mais d'où vous vient cette idée saugrenue, cher ami ?"

 

> Nous avons le précédent de l’ordonnance du 9 août 1944 qui déclara illégal tous les actes du gouvernement de Vichy

 

Gouvernement à la légalité contestable ou début, et qui est ensuite tombé dans l'illégalité complète. Rien à voir avec ce qu'envisage Sapir, qui est le renversement d'un régime légal. Le pire c'est qu'il le reconnait juste après. Sapir pense t-il que le gouvernement d'aujourd'hui est similaire à celui de Vichy ? Ou que les révolutionnaires seront a posteriori considérés comme des héros de la Résistance ?

 

> le rétablissement de l’ordre démocratique pourrait parfaitement survenir d’une dictature, mais uniquement au sens premier de ce terme.

 

L'esthète appréciera la prudence de la formule.

Il conclut sur la Grèce, logique vu qu'il a commencé avec Rome.

 

Sapir nous dit donc que : "le droit ne doit pas arrêter les révolutionnaires et le Grand Chef Charismatique de la Révolution, dont les actions sont de toutes façons légitimes et considérées comme légales après coup".

 

Ce qui est le discours de tous les démagos et leurs depuis Marius (que Sylla a affronté, bouclant la boucle de cette brillante démonstration).

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Tiens Sapir parle des libertariens ( probablement la plus grande menace de nos jours ) ..

 

 

Entre l’individu et le collectif s’établissent des liens complexes qui sont irréductibles à la vision tragiquement simplifiée que veulent en donner les libertariens de tout bord. Cette vision de la société n’est pas alternative à d’autres. Elle s’oppose en réalité à toute vision de l’organisation sociale. La vision libertarienne conduit immanquablement à ce que Hobbes appelait « la guerre de tous contre tous », et concrètement à la guerre civile.

 

(badurl) http://russeurope.hypotheses.org/4352 (badurl)

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Et ce passage aussi ..

 

 

Mais, cette refondation peut imposer ou impliquer des éléments de populisme. Pour combattre la tendance spontanée des bureaucraties à produire des lois sans se soucier de leurs légitimités, le recours à des éléments de légitimité charismatique s’impose. C’est le sens de la réintroduction, sur des questions essentielles, des procédures référendaires qui relèvent en partie de cette forme de légitimité. Surtout, il convient de se rappeler que les pouvoirs dictatoriaux, dans leur sens initial et non dans le sens vulgaire qu’a pris le mot de « dictature », font partie de l’ordre démocratique. Il ne faudra donc pas que notre main tremble, que l’action de tous soit interrompue, quand se posera la question de l’abrogation de lois prises dans des conditions certes légales mais entièrement illégitimes.

La boussole en ces temps incertains devra être comme toujours la défense de la souveraineté de la Nation, et le rassemblement autour de son souverain, c’est à dire le peuple.

 

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La boussole en ces temps incertains devra être comme toujours la défense de la souveraineté de la Nation, et le rassemblement autour de son souverain, c’est à dire le peuple.

 

 

la boussole du peuple, c'est le peuple rassemble, ca risque de tourner en rond un peu :mrgreen:

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  • 2 weeks later...

Le peuple ce contorsionniste.

 

Sinon la dernière de Sapir, très classique :

 

 

On parle beaucoup aujourd’hui, du fait de la crise des réfugiés en Europe et au Proche-Orient, d’un « retour des frontières ». Ceci est assez étonnant, tout en décrivant bien, en creux, l’idéologie dominante dans une partie de la presse et chez certains commentateurs. Il faut en effet constater que les frontières existent aujourd’hui. C’est une évidence mais cela relève de la « découverte » pour certain. De ces frontières, certaines sont plus étanches que d’autres, mais elles sont une réalité générale. Par ailleurs, même au sein de l’Union Européenne l’accord de Schengen est aujourd’hui ouvertement remis en cause. Signe des temps : nous voici bien ramené à la question des frontières. Mais, cette question pose en filigrane celle de la mondialisation et celle de la souveraineté.

Du rôle de la frontière

Parler de retour des frontières implique que nous vivrions dans un monde sans frontières, ce qui n’est à l’évidence pas le cas. Cette question est donc très mal formulée. La véritable question n’est pas est-on pour ou contre des frontières, mais à quoi ces frontières doivent-elles servir.

La frontière est en réalité la condition de la démocratie. C’est elle qui permet de relier la décision collective et la responsabilité. Sans l’existence de frontières, si nous vivions dans une indétermination territoriale, nous pourrions certes avoir la possibilité de la décision en commune mais pas la responsabilité de long terme qui vient de l’existence sur un territoire donné. Ce fut d’ailleurs, historiquement, le problème qui empêcha les peuples nomades de se donner des institutions sociales et politiques à l’image des peuples sédentaires. La frontière est aussi constitutive de la démocratie en cela qu’elle détermine un peuple (et non une appartenance ethnique ou religieuse). C’est la frontière qui met l’étranger voulant vivre dans un autre pays devant le choix de s’intégrer ou d’être privé de droits politiques. Elle est une séparation entre l’intérieur et l’extérieur, séparation sans laquelle aucune organisation, et je rappelle qu’un Etat est une organisation, ne saurait – tout comme tout être vivant – exister. Même les protozoaires ont une membrane qui les isole de leur environnement.

Une frontière doit donc jouer le rôle d’un filtre laissant passer certaines choses, et bloquant certaines autres. Aussi, la question des frontières pose celle du protectionnisme. On sait que ce dernier à mauvaise presse. Mais, la question du protectionnisme est indissolublement liée à celle des politiques de développement. Les travaux d’Alice Amsden[1], Robert Wade[2] ou ceux regroupés par Helleiner[3] montrent que dans le cas des pays en voie de développement le choix du protectionnisme, s’il est associé à de réelles politiques nationales de développement et d’industrialisation[4], fournit des taux de croissance qui sont très au-dessus de ceux des pays qui ne font pas le même choix. Avec l’émergence de la nouvelle théorie du commerce international de Paul Krugman, on peut considérer que le protectionnisme a retrouvé en partie ses lettres de noblesse[5]. Paul Krugman lui-même a récemment reconnu que la globalisation pouvait bien, malgré tout, être considérée comme coupable[6]. Des phénomènes comme le recours massif à une sous-traitance étrangère n’avaient ainsi pas été prévus et ont considérablement modifié l’approche de la globalisation[7].

 

Frontières et mondialisation

Le fait que les pays d’Asie qui connaissent la plus forte croissance ont systématiquement violé les règles de la globalisation établies et codifiées par la Banque mondiale et le FMI a été établi par Dani Rodrik[8]. Ceci renvoie à la question des politiques nationales et à la problématique de l’État développeur qui renaît dans le débat depuis quelques années[9]. Cette problématique est en réalité au cœur du réveil industriel de l’Asie. En fait, ce sont ces politiques nationales qui constituent les véritables variables critiques pour la croissance et le développement, et non l’existence ou non de mesures de libéralisation du commerce international. Mais admettre cela revient à devoir reconsidérer le rôle de l’État dans les politiques économiques et le rôle du nationalisme comme idéologie associée au développement. On touche ici à de puissants tabous de la pensée orthodoxe en économie comme en politique.

Pourtant, il est clair que ce protectionnisme, ces politiques de développement national, n’interdisent nullement le commerce international. Le protectionnisme n’est pas l’autarcie. Ceci devrait être évident pour tout le monde. Mais, quand François Hollande, Président de la République, appelle à l’occasion du soulèvement récent des agriculteurs en France à « manger français », ne se fait-il pas, lui l’apôtre de l’autarcie? Sa formule relève en effet de ce qui s’appelle l’autarcie et qu’aucun économiste ne peut recommander. En réalité, des formes de protectionnisme, égalisant les conditions tant sociales qu’écologiques dans lesquelles les biens sont produits, sont absolument nécessaire. Ces formes de protectionnisme seraient plus efficaces si nous pouvions arriver à un accord commun avec certains de nos partenaires. Mais, même sans cet accord, elles seraient incontestablement efficaces.

 

Du rôle modérateur de la notion de frontière

Il faut ici se souvenir du petit livre publié en 2010 par Régis Debray et qui s’intitulait Eloge des Frontières [10]. Il faut donc lire ou relire ce petit livre qui dit une grande chose. La frontière, parce qu’elle distingue un intérieur d’un extérieur permet le contact avec l’autre comme elle permet la démocratie, cette combinaison de pouvoir et de responsabilité. Dans une interview qu’il donne à l’occasion de la sortie de ce livre au JDD, Régis Debray dit aussi : « La frontière, c’est la modestie : je ne suis pas partout chez moi. J’accepte qu’il y ait de l’autre et pour faire bon accueil à un étranger, il faut avoir une porte à ouvrir et un seuil où se tenir, sinon ce n’est plus un hôte mais un intrus. Un monde sans frontières serait un monde où personne ne pourrait échapper aux exécuteurs de fatwas ou aux kidnappeurs de la CIA. (…)La méconnaissance des frontières relève d’un narcissisme dangereux, qui débouche sur son contraire : les défenses paranoïaques. Une frontière invite à un partage du monde et décourage son annexion par un seul »[11]. On voit que le propos est large. Il faut en tenir compte. Sans l’existence de frontières la distinction entre l’invitant et l’invité cesserait d’exister. Dès lors ne pourrait plus être pensée l’obligation morale qu’il y a à accueillir un étranger poursuivi par u pouvoir tyrannique sur son sol natal, obligation qui – il faut le rappeler – existe dans la déclaration des Droits de l’Homme et dans le préambule de la Constitution en France. Mais, ce que dit Régis Debray va encore plus loin. L’existence de frontières permet de penser la pluralité du monde. Elle s’oppose à la vision unifiante – et terrifiante – de l’empire universel. C’est l’existence de frontières, parce qu’elle permet l’existence de nations, qui permet l’internationalisme et non, comme le confondent beaucoup aujourd’hui, un a-nationalisme, une généralisation du statut d’apatride pour tous.

 

Frontières et souveraineté

Mais, parler de frontière est une autre manière de parler de la souveraineté.

Dès lors, on peut définir le souverainisme étymologiquement comme l’attachement de quelqu’un à la souveraineté de son pays, et donc l’attachement à ses frontières. Cela pourrait en faire un équivalent de patriotisme. Mais, dans sa signification actuelle, le souverainisme définit en réalité un attachement et une défense de la souveraineté du peuple, qui est le fondement principal de la démocratie. Le souverainisme est donc ce qui permet l’expression de la volonté d’une communauté politique (le peuple) à pouvoir décider de lui même, par lui-même et pour lui-même sur les questions importantes[12].

C’est donc une notion qui s’enracine profondément dans une vision de gauche de la société. C’est ce qui explique, sans doute, le succès grandissant des idées souverainistes car elles sont les seule qui permettent de rattacher l’aspiration au progrès social à des mécanismes concrets, car fonctionnant au sein d’espaces territorialisés clairement définis. Ce souverainisme ne relève pas d’une quelconque xénophobie. Il permet au contraire de penser la libre disposition d’un peuple de prendre son destin en main.

Le souverainisme est donc la position logique, et même la position nécessaire, de tous ceux qui veulent penser la démocratie, non pas comme un rite formelle mais comme une pratique réelle. Qu’il y ait, à partir du moment ou la souveraineté est établie et la démocratie réelle rétablie, des oppositions entre courants se réclamant du souverainisme est chose normale. On peut même dire qu’elle fait partie intégrante du processus démocratique. Mais, ces différents doivent être unis quand il s’agit de défendre la souveraineté et la démocratie. De ce point de vue, et contrairement à ce que d’aucuns écrivent[13], il n’existe pas de souverainisme « de gauche » ou « de droite ». Il existe des opinions, de droite ou de gauche, tenues par des souverainistes. Mais, l’ensemble des « anti-souverainistes » sont en réalité des gens que l’on peut qualifier comme « de droite » car ils se prononcent contre les bases mêmes de la démocratie.

 

Retour des frontières ou retour des Nations ?

Ce à quoi on assiste depuis maintenant plus d’une dizaine d’années, c’est au contraire à un retour des Nations[14]. Ce retour a commencé avec le rétablissement de la Russie ; il s’est prolongé avec les politiques des Etats d’Asie orientale. Désormais, ce processus concerne directement l’Europe. Face à ce retour des Nations, on peut soit le combattre, mais c’est un combat perdu d’avance, ou l’on peut chercher à fonder de nouvelles formes de coopération entre ces Nations.

Car, le retour des Nations n’implique nullement celui du nationalisme et du bellicisme. Les grands projets, dont les européens sont fiers, à juste titre, ont TOUS été le résultat de coopérations multinationales, et non d’un processus fédéral. Qu’il s’agisse d’Ariane ou d’Airbus, au départ ce sont quelques pays qui ont décidé de mettre en commun leurs savoir-faire et leurs compétences. D’ailleurs Airbus n’aurait jamais existé sans l’accord franco-allemand pour la construction de l’avion de transport Transall et sans le Concorde franco-britannique, qui a permis une modernisation décisive de l’industrie française.

Aucun de ces grands projets, et de ces grandes réussites, n’est aujourd’hui possible dans le cadre étriqué et étouffant de l’Union européenne. On a tout à fait le droit de penser que les Nations sont des cadres périmés. Mais en ce cas, il faut en tirer les conséquences pour soi-même. C’est pourquoi on ne peut qu’être très choqué de certains propos tenus récemment par François Hollande lors de son discours devant le Parlement européen, non tant par les propos eux-mêmes, mais du fait qu’ils sont contradictoires avec la fonction de Président de la République qu’il occupe. S’il était cohérent, il devrait donc démissionner.

 

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  • 3 weeks later...

Sapir qui va chercher son argumentation chez Carl Schmitt...

 

 

Les attentats qui ont endeuillés Paris le vendredi 13 novembre nous horrifient et nous révoltent. Certes, ce n’est pas la première fois que Paris est ainsi ensanglanté. Le souvenir de la tragédie qui s’était déroulée à la rédaction de Charlie-Hebdo et au magasin Hyper-Casher en janvier dernier est encore frais dans nos mémoires. Nous continuons d’en pleurer les morts. Mais, les carnages de ce 13 novembre marquent un saut qualitatif dans l’horreur et l’abjection. Le temps du deuil et du recueillement dû aux victimes et à leurs proches s’impose. Le temps de l’action viendra ensuite. Mais, il importe qu’il soit éclairé par le temps de la réflexion. Et, dans cette réflexion, émerge le problème que constitue la proclamation, par François Hollande, de l’état d’urgence.

Cette proclamation a des conséquences qui vont bien au-delà de ses implications pratiques. En décidant d’appliquer l’état d’urgence, tel qu’il est définit dans la loi depuis 1955[1], François Hollande a fait un geste dont il n’a probablement pas mesuré toutes les dimensions ni toute la portée. Il vient de donner raison à tous ceux qui défendent le principe de souveraineté.

 

Le retour de la souveraineté

Il nous faut donc constater qu’en décidant de décréter l’état d’urgence, le Président de la République a fait un acte de souverain. Il l’a fait en notre nom à tous, au nom du peuple français. Mais, ce faisant, en décidant à la fois DE l’état d’exception et de ce qu’il convient de faire DANS l’état d’exception, il a remis sur le devant de la scène politique la question de la souveraineté et ceci en contradiction même avec les discours qui sont tenus par les dirigeants de l’Union européenne[2] et par leurs théoriciens[3]. Il a, de plus, fait cette remise en scène de la souveraineté à un moment où l’Union européenne est dans un état critique. Les accords de Schengen sont, dans les faits, morts et l’on voit que convergent des crises à venir, que ce soit en Grèce, au Portugal, mais aussi en Grande-Bretagne (avec le référendum sur une possible sortie de l’UE) et en Espagne, où le problème de la Catalogne est dans toutes les têtes. Tel est le contexte très particulier de sa décision.

Il n’est pas sur qu’il ait eu conscience de la signification profonde de son action et il est probable qu’il croit toujours répondre à une simple urgence. Mais, sa décision a des implications qui la dépassent. Elle marque le retour en force de la notion de souveraineté.

On sait, en effet, que pour Carl Schmitt « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle »[4]. Cette définition est importante. Pourtant, il convient de s’arrêter aux mots. Emmanuel Tuchscherer fait alors justement remarquer que ceci « marque en effet le lien entre le monopole décisionnel, qui devient la marque essentielle de la souveraineté politique, et un ensemble de situations que résume le terme Ausnahmezustand, celui-ci qualifiant, derrière la généricité du terme « situation d’exception », ces cas limites que C. Schmitt énumère dans la suite du passage sans véritablement distinguer : « cas de nécessité » (Notfall), « état d’urgence » (Notstand), « circonstances exceptionnelles » (Ausnahmefall), bref les situations-types de l’extremus necessitatis casus qui commandent classiquement la suspension temporaire de l’ordre juridique ordinaire »[5]. Il est ici important de comprendre que cette suspension de «l’ordre juridique ordinaire » n’implique pas la suspension de tout ordre juridique. Bien au contraire. Le Droit ne cesse pas avec la situation exceptionnelle, mais il se transforme. L’acte de l’autorité légitime devient, dans les faits de la situation exceptionnelle, un acte légal. Et l’on peut alors comprendre l’importance de la claire définition de la souveraineté.

Schmitt s’en explique successivement, revenant à plusieurs reprises sur la formule initiale : est donc souverain « celui qui décide en cas de conflit, en quoi consistent l’intérêt public et celui de l’État, la sureté et l’ordre public, le salut public[6]». C’est en réalité plus qu’une précision. Il faut observer que cette nouvelle définition transporte en réalité la marque de la souveraineté d’un critère organique (la question étant alors « qui décide ? » ou, dans le vocabulaire juridique quis judicabit ?) vers un critère bien plus concret, qui spécifie d’ailleurs les circonstances (en situation de conflit) et les objets (l’intérêt public et celui de l’État) sur lesquels il convient de statuer. Notons aussi que l’intérêt de l’Etat est distingué de l’intérêt public. Mais, si l’intérêt de l’Etat se définit (sureté et ordre public), l’intérêt public quant à lui reste non précisément défini. Il faut en comprendre la raison.

 

Comment se définit l’intérêt public ?

L’intérêt public ne peut être défini au préalable car une telle démarche impliquerait, en fait, de limiter le pouvoir de la communauté politique. Or, c’est justement là que Schmitt affirme la primauté de la souveraineté. Seule la communauté politique, ce que l’on appelle le peuple, est en mesure de définir l’intérêt général et nul ne peut prétendre orienter ou limiter cette capacité à le faire. De ce point de vue, Schmitt donne raison à la souveraineté populaire. Mais, le peuple le fait à un moment donné, et il convient ici de bien comprendre le sens de ces termes.

La définition de l’intérêt général ne peut, en effet, qu’être contextuelle, sauf à prétendre que le peuple, ou ses représentants, serait capable d’omniscience et pourrait définir à l’avance l’ensemble des cas de figure que pourrait prendre cet intérêt général. C’est bien l’émergence brutale d’un contexte nouveau, et menaçant, qui induit la « situation exceptionnelle ». Elle est absolument essentielle. L’existence d’une situation exceptionnelle, de ce que les juristes appellent le cas « extremus necessitatis » est d’ailleurs citée par Bodin comme relevant le souverain de l’observation régulière de la loi[7]. Bodin, en fait le cas emblématique de l’exception juridique[8], de l’interruption du droit normal sans que le principe du Droit ne soit, quant à lui, interrompu. La nature de la souveraineté est profondément liée à l’état d’exception dans lequel elle se révèle[9].

Pour Schmitt, c’est le contexte du conflit, ou de la situation d’urgence si l’on veut étendre le raisonnement, qui sert à définir cet intérêt général. Schmitt désigne alors les limites inhérentes au discours juridique et plus précisément des limites d’un discours qui serait essentiellement fondé sur la notion de légalité.

Ce discours, qu’il combat, on peut le considérer comme un exemple du positivisme juridique. C’est parce qu’il prétend statuer en droit, autrement dit en justice ce qui ne peut l’être qu’en justesse, c’est à dire en légitimité, que le discours étroitement juridique se révèle incapable de saisir le sens profond de l’état d’exception, et aujourd’hui de l’état d’urgence. Ce discours juridique ne peut logiquement qualifier cette situation purement factuelle qui déborde par définition des catégories juridiques usuelles.

Mais, il est aussi clair que cet intérêt général, qui sert de base et de justification à l’état d’exception et à l’état d’urgence, peut être outrepassé, et même dévoyé, par les actes du gouvernement. Et ceci pose le problème du respect du Droit, quand le droit lui-même peut être temporairement suspendu.

 

La notion de « légal » au sein de l’état d’urgence

Il convient, alors, de chercher par quels moyens l’État de droit peut tenir en bride les pouvoirs publics dans des situations critiques où ceux-ci tendent justement à s’affranchir des limitations habituelles, tout en répondant aux contraintes spécifiques de cette situation d’exception[10]. Si la décision de recourir à une forme d’état d’exception, comme l’état d’urgence, se déploie en marge de l’ordre juridique normalement en vigueur, elle n’échappe donc pas complètement au droit, puisqu’il n’y a d’exception qu’expressément qualifiée comme telle. L’exception suspend en tout ou partie l’ordre juridique ordinaire, celui qui fonctionne dans les circonstances normales. Mais, l’exception ne s’affranchit pas de tout ordre juridique. Elle ne désigne nullement un néant ou une pure anomie. L’exception manifeste au contraire la vitalité d’une autre variante de cet ordre. On peut le considérer comme l’ordre politique ou souverain habituellement dissimulé derrière le cadre purement formel et procédural de l’ordre normatif de droit commun : « Dans cette situation une chose est claire : l’État subsiste tandis que le droit recule. La situation exceptionnelle est toujours autre chose encore qu’une anarchie et un chaos, et c’est pourquoi, au sens juridique, il subsiste toujours un ordre, fût-ce un ordre qui n’est pas de droit. L’existence de l’État garde ici une incontestable supériorité sur la validité de la norme juridique »[11].

Schmitt est revenu sur la notion de souveraineté dans un ouvrage ultérieur la Notion du Politique[12]. Il fait apparaître comme centrale l’opposition « ami-ennemi » comme le note justement Tuchscherer[13]. Mais il place aussi au centre du jeu : « l’unité sociale […] à qui appartient la décision en cas de conflit et qui détermine le regroupement décisif entre amis et ennemis »[14]. Une interprétation possible et que cette « unité sociale » n’est autre, ou ne devrait être autre, que le peuple en action, le « peuple pour soi ». En fait, c’est l’opposition « ami-ennemi » qui définit le politique mais cette opposition ne peut être mobilisée que par « l’unité sociale ». Et c’est à cette dernière que revient la charge de définir ce qui est appelé des antagonismes concrets, des conflits concrets, et enfin des situations de crise. Nous comprenons aujourd’hui bien mieux le sens de ces notions. Et c’est en cela que François Hollande vient de donner raison aux souverainistes et prenant acte de ce qu’est la souveraineté.

 

Il est sans doute ironique que ce soit un Président indécis, soumis aux différents diktats européens, qui se soit décidé à imposer l’état d’urgence, recourant ainsi aux mécanismes qu’il prétend détester. Il a dû le faire car les événements le lui ont imposé. L’intérêt général se révèle dans la crise, dans un contexte particulier. Mais, sa décision ajoute une pierre, et non des moindres, à la reconstruction de la souveraineté nationale à un moment où l’UE s’effondre. Il est alors probable que, dans sa tradition de vouloir concilier les extrêmes, notre Président, saisi de stupeur par son audace, tente d’en appeler à l’Europe. Qu’importe les mots qu’il pourrait avoir. Ce qui est fait est fait et ne pourra se défaire aisément. François Hollande, à son corps défendant, vient de redonner vie et droit de cité à la souveraineté et au souverainisme.

 

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Sapir qui va chercher son argumentation chez Carl Schmitt...

A raison, vu les problèmes qu'il pose et les réponses qu'il veut y apporter. De surcroît Schmitt est un penseur très actuel. Les récents événements ne font qu'amplifier une tendance longue où la réception de Schmitt gagne en ampleur.

Et comme dirait Alain de Benoist, les schmittiens de gauche abonde.

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  • 1 month later...

La contrainte inhérente à chaque acte juridique ne peut se justifier uniquement du point de vue de la légalité, qui par définition est toujours formelle. La prétendue primauté que le positivisme juridique entend conférer à la légalité aboutit, en réalité, à un système total, imperméable à toute contestation et par essence totalitaire. C’est ce qui permet, ou est censé permettre, à un politicien de prétendre à la pureté originelle et non pas aux mains sales du Prince d’antan. Mais alors, il nous faudrait considérer les lois des pires tyrannies comme légales. La légalité ne prend sens qu’articulée sur la légitimité, c’est-à-dire le jugement en justesse et non plus en justice, de ces lois. Seule la souveraineté peut établir qui est habilité à porter ce jugement en justesse, autrement dit qui détient la légitimité.

(badurl) http://russeurope.hypotheses.org/4604#_ftnref1 (badurl)

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