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Le Droit Naturel Existe T-Il ?


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Pour reprendre Jesrad :

 

"Dans le domaine du commerce maritime, comme les gens qui font affaire évoluent à peu de choses près « en dehors de toute législation commune » ils sont en pratique presque entièrement exempts de droit positif quand ils établissent des contrats entre eux. C’est pour cela que, dans ce domaine, c’est principalement le droit naturel qui s’applique (et en cas de litige, son compagnon l’arbitrage privé qui tranche). On trouve alors des choses comme la responsabilité de l’affréteur envers l’armateur si son chargement endommage le navire, la créance au pro-rata du temps de retard sur une course, et des tas d’autres petites choses que les gens font parce qu’ils savent que c’est ce qu’il est juste de faire.

De même, dans le champ du marché noir les acteurs étant hors la loi, il ne reste entre eux que le droit naturel pour régir leurs interactions. On y trouve pourtant des garanties, des engagements sur les délais, et toutes sortes d’autres notions de bon droit. On peut même y voir des banques complètes y fonctionner de manière tout à fait normale, en dehors de toute législation et de l’appareil exécutif de l’état."

 

A partir du moment où on a un système qui émerge avec une force exécutoire, on parle bien de droit positif. Ce n'est pas parce que ce n'est pas du "droit de l'Etat" que ce n'est pas du droit positif. Un système de common law avec des juges sur lesquels s'accordent les parties reste du droit positif. Il existe évidemment du droit positif en dehors de l'Etat.

 

EDIT: autant son positivisme en tant que tel est à jeter, autant les analyses de Herbert Hart sont à lire et je souscris en grande partie à sa description du droit positif (qui est pour lui le droit tout court). Les positivistes ne sont pas toujours mauvais, si on se limite à leurs analyses du droit positif

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Comme définition du "juste" ou de la "justice", ça me va parfaitement. Cependant, si l'on cherche à définir l'office du juge (ce qui semble être le but principal de Villey), cela ne convient plus. Par hypothèse, le juge sera souvent amené à rendre à un justiciable (à un justiciable et non plus à "chacun") ce qui lui a a été enlevé par un acte injuste. J'ai l'impression que Villey alterne parfois entre ces deux acceptions du concept de "justice".

 

D'accord avec ta précision, à ceci près qu'il y a des cas où le juge va laisser à quelqu'un ce qui est le sien. Exemple, quelqu'un qui est attrait devant le juge pour exécuter une obligation qu'il n'a en fait jamais souscrite. Si le demandeur est débouté ou quoi par le juge, on a laissé à quelqu'un ce qui est le sien.

 

Mais cette pinaillerie mise à part, tu as tout-à-fait raison que la pratique judiciaire doit au minimum cumuler les deux, et le plus souvent rendre en effet.

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A partir du moment où on a un système qui émerge avec une force exécutoire, on parle bien de droit positif.

 

Définis précisément "force exécutoire".

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Non, il peut exister des lois qui ne sont pas la transposition écrite du droit naturel et qui, à la fois, n'y sont pas contraires. Par exemple : une loi qui dispose que l'on doit rouler à droite. C'est tout à fait arbitraire mais ça ne va pas à l'encontre du droit naturel.

Certes mais donc

Le droit naturel dit : ne pas ennuyer le monde

Le droit positif dit : pour ne pas ennuyer le monde, roulez à droite.

Le droit positif c'est donc le Boileau du droit naturel ?

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Définis précisément "force exécutoire".

 

Possibilité de faire appliquer une décision d'une instance quelle qu'elle soit, au besoin par la force. En français il est vrai qu'on tend à limiter ça au droit étatique, mais l'équivalent anglais qui me plait mieux "enforceable" s'applique peu importe le système juridique, y compris donc par exemple un système mafieux.

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Bof, le marché noir et les réseaux mafieux comme paradigme du droit naturel...encore un petit effort messieurs les anarcaps et vous allez réinventer l'état de nature, en bons rousseauistes que vous êtes.

 

Oui bon, c'est pas le cas de tous les anarcaps hein... Et tu n'auras pas manqué de remarquer qu'il s'agit juste d'une confusion entre "absence de droit positif étatique" et "droit naturel".

 

Bon, il est vrai que cette confusion est grave, je suis d'accord.

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Qui oblige un condamné à effectuer sa peine ?

Possibilité de faire appliquer une décision d'une instance quelle qu'elle soit, au besoin par la force. En français il est vrai qu'on tend à limiter ça au droit étatique, mais l'équivalent anglais qui me plait mieux "enforceable" s'applique peu importe le système juridique, y compris donc par exemple un système mafieux.

 

Dans la vie de tous les jours, à chaque fois et dans la mesure où les gens agissent dans le respect du consentement de toutes les personnes concernées, sans qu'il y ait de force exécutoire particulière derrière, c'est du Droit naturel, non ?

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Certes mais donc

Le droit naturel dit : ne pas ennuyer le monde

Le droit positif dit : pour ne pas ennuyer le monde, roulez à droite.

Le droit positif c'est donc le Boileau du droit naturel ?

 

Pas que. Le droit naturel dit aussi "respectez les contrats", le droit positif dit "respectez les contrats".

 

Après, le droit positif a des normes secondaires, ce que le droit naturel n'a pas. 

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Dans la vie de tous les jours, à chaque fois et dans la mesure où les gens agissent dans le respect du consentement de toutes les personnes concernées, sans qu'il y ait de force exécutoire particulière derrière, c'est du Droit naturel, non ?

 

Je dirais que c'est conforme au droit naturel plutôt. 

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La définition de Hobbes se fonde sur la puissance d'auto-conservation de l'individu, en tant qu'animal calculateur. Hobbes la déduit de la raison, mais l'étaye aussi par l'expérience et de façon très solide.

 

A vrai dire je ne connais pas de meilleure définition du droit naturel, qu'il ne faut pas confondre avec la loi naturelle. Or la nature sociale de l'homme relève de la loi de nature, c'est-à-dire de l'obligation de contracter pour rechercher la paix, et non du droit naturel qui concerne la puissance des individus.   

 

J'ai du mal à comprendre l'intérêt de cette dichotomie. Les instincts d'auto-conservation et de socialisation sont imbriqués chez l'humain. Un humain tout seul à poil dans la forêt ça ne s'auto-conserve pas très longtemps.

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Je trouve la correction pertinente, mais je ne pense pas que...

 

A partir du moment où l'on discute la formulation même d'un principe du droit naturel, cela ne met-il pas justement en difficulté son côté "naturel" ? Où sont, dans la nature, ces éléments de législation, ces inscriptions, ces principes parfaitement formulés, sans ambiguïté, en tout temps, en tout lieu, pour tous les peuples et tous les êtres vivants doués de raison, pourquoi pas même des extraterrestres ?

 

Le principe d'organisation de la nature est celui de la force physique, voilà ce qui est. Le lion exerce son droit naturel lorsqu'il bouffe l'antilope. L'homme n'enfreint en rien le droit naturel au sens hobbesien lorsqu'il vole ou rackette un autre homme. Le droit naturel tel que l'entende les jusnaturalistes décrit en réalité ce qui doit être et pose les limites et les conditions, d'un point de vue moral, de l'usage de la force. C'est pourquoi dire que ce droit est "naturel" est une erreur de langage. Sauf si on verse dans le mysticisme et que l'on force la jonction entre ce qui est et ce qui doit être. Et prétendre qu'il s'agit d'une approche téléologique ne résout pas le problème, au contraire, on ferait alors de ce droit nat un pur droit positif. D'où, une nouvelle fois, une opposition qui n'a pas lieu d'être, qui crée la confusion plus qu'elle ne clarifie la situation.

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A partir du moment où l'on discute la formulation même d'un principe du droit naturel, cela ne met-il pas justement en difficulté son côté "naturel" ? 

 

Bla bla sémantique bis. Si ça te perturbe tant que ça, replace droit naturel par "droit juste" ou même "Justice".

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Je vais te répondre incessamment (V), je suis un peu occupé, mais cette discussion m'intéresse trop pour la laisser tomber ;) Tout ce que je peux dire pour l'instant c'est que prendre pour étalon la physique (les lois de la physique) pour juger de la nature du droit naturel est une fausse route, et une réduction qui ne permet pas de le comprendre. 

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Le principe de non agression ? La propriété ?

 

L'énoncé "la propriété" est donc un principe de droit naturel ? Qu'est-ce que ça signifie ? Qu'est-ce que ça implique ? Ne faudrait-il pas dire "Le respect de la propriété" ? Mais dans ce cas, qu'entend-on exactement par propriété ? Et surtout par respect ? Peut-il y avoir des exceptions ? Etc. etc. Le moindre de ces principes "naturels" qui peut sembler évident peut aussi ouvrir un débat d'une centaine de pages sur liberaux.org. Donc où sont ces principes ? Qui peut prétendre à l'énonciation claire et sans ambiguïté de ce mystérieux droit naturel, de telle façon que tout le monde, par le simple exercice honnête de la raison, y adhère ?

 

Peut-être existe-t-il un droit naturel : ça c'est la question métaphysique.

 

Quel est le contenu de ce droit naturel, quel ensemble d'énoncés le constitue de façon intelligible par et pour la raison humaine ? Celui qui prétend le savoir fait de la métaphysique comme on en faisait avant Kant. C'est en ce sens qu'on parle de "mysticisme". On pourrait parler plus simplement de délire, d'affabulations.

C'est comme dire qu'il y a une Vérité : oui, peut-être, certainement même. Mais quelle est cette vérité ? Ce serait la trahir que prétendre dire ce qu'elle est.

C'est comme Dieu : oui, le déisme est certainement la position la plus cohérente et la moins difficile à défendre. Mais prétendre connaître ce Dieu, c'est le trahir. Les religions sont les pires trahisons de l'idée de Dieu, car elles prétendent que leurs fables sont la vérité, en son nom.

 

Faut-il parler de droit naturel ? Associer ces deux termes de droit et de naturel ? Le niveau du débat auquel je m'attache porte en effet sur le plan sémantique. Essayons de respecter au mieux un certain principe d'univocité, essayons de clarifier notre langage, essayons de formaliser nos idées. Par delà ce problème qui peut sembler un peu bête, bêtement sémantique, c'est bien la défense de la raison qui est visée.

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Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement  en apparence, et réellement établi en principe : mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté ; c’est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ?

            Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu’il n’en résulte qu’un galimatias inexplicable. Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. Or qu’est-ce qu’un droit qui périt quand la force cesse ? S’il faut obéir par la force, on n’a pas besoin d’obéir par devoir, et si l’on n’est plus forcé d’obéir, on n’y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n’ajoute rien à la force ; il ne signifie ici rien du tout.

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Là où je rejoins (V) c'est que le droit naturel n'est pas opérationnel s'il n'est pas exprimé, et s'il est exprimé, c'est du droit positif, en tout cas pour la résolution des litiges.

En ce sens oui, autant parler de Vérité.

On constate bien que des relations implicites émergent lors des relations sociales humaines, et qu'il existe des invariants dans ces relations parmi toutes les sociétés humaines.

Je crois avoir compris que le droit naturel représente l'identification de ces invariants.

Mais comment ensuite en faire du droit, et rendre intelligible à tous les conditions de vie harmonieuse en société, en tranchant dans les litiges ?

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Je crois que tu ne comprends pas ce qu'est le droit naturel. Le droit naturel n'est pas un code.

 

Si tu reste au niveau métaphysique, en effet le droit nat n'est pas tout à fait un code. Mais dans ce cas comment l'appliquer, comment le faire exécuter ? Même dans une société sans Etat, si l'acte malheureux d'un ignorant ou d'un méchant porte atteinte à ton droit, comment vas-tu le faire respecter ? Il va bien falloir discuter, utiliser des mots, se mettre d'accord sur des formules, peut-être les écrire : cet acte même de communication revient à "positiver" le droit. C'est une question à la fois de définition et de logique. Donc opposer les deux ou penser que le seul lien possible entre les deux est que le droit nat inspire le droit pos est une erreur.

 

 

 

 

Droit positif et droit naturel ne sont pas opposés tant que le premier se fonde sur le deuxième.

Le positivisme, c'est construire des lois arbitrairement, en fonction des désirs de la majorité, ou du tyran.

 

Ce n'est pas le premier qui pourrait "fonder" le deuxième : le terme "positif" ne désigne qu'un mode, qu'un état de certains principes du droit - ce sont les principes désignés par l'expression "droit nat" qui pourraient se réaliser sous un mode positif.

 

Encore une fois ce que je dis là ne s'oppose pas aux principes ou à la défense des principes que vous rangez sous l'expression "droit naturel", mais critique surtout l’appellation droit naturel et son articulation avec le droit positif.

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Bla bla sémantique.

 

Oui. Ce n'est pas qu'une question de forme. C'est fondamental. C'est avec les mots que l'on pense et raisonne : si le "droit naturel" est le fruit de la raison, on ne peut faire l'impasse sur cette question.

 

Tu ne comprend pas. Le jusnaturalisme revient à considérer qu'il existe un droit objectivement bon. Le positiviste lui se contente de décrire concrètement le droit sans chercher ce qui est juste, c'est un nihiliste, et un emmerdeur comme tous les nihilistes.

 

Non je ne comprends pas très bien, mais attends je vais me concentrer très fort, gnnnnn, peut-être que j'y arrive un peu, gnnnnnnnnnnn... ;) C'est pas comme si j'étudiais cette question depuis des années, hein ! Moi aussi il y a dix ans je répétais ce que je lisais dans les ouvrages de mes auteurs favoris, ce que je lisais aussi sur l’ancêtre de ce forum et sur le Québécois Libre. "Droit naturel", "droit naturel", je n'avais que cette expression à la bouche ! Et je rappelais moi aussi que les lois qui s'imposaient dans les dictatures, sous le régime nazi ou soviétique, relevaient précisément du droit positif. Et moi aussi j'ironisais sur ce terme de "positif", qui n'a alors de positif que le nom, comme on peut critiquer le "réalisme" des hobbesiens ou le "real-" de la realpolitik...

Et donc je défendais mordicus le droit naturel, comme si l'expression en elle-même, par sa référence à la nature, plaçait naturellement ce qu'elle désignait au-dessus de toute les lois en vigueur. Pour le justifier j'utilisais la même pseudo-argumentation que notre ami Carlito, à savoir : "chacun possède sa vie et ce qui en découle". Seulement cette succession de mots ne prouve rien, ne fonde rien, même si on est spontanément d'accord avec.

 

Les problèmes qui se posent sont les suivants :

 

1 - Comment prouve-t-on l'existence d'un droit objectivement bon ? (de la même façon qu'on pourrait demander Comment prouve-t-on l'existence de Dieu ?) Comment prouve-t-on que ce "bon" ainsi visé correspond à la nature même des choses et des êtres ?

 

1 bis - Si on ne peut pas, à quoi bon défendre une telle idée, si ce n'est en tant que croyant, comme acte de foi ?

 

2 - Qui peut prétendre connaître ce droit objectivement bon ? Connaître son contenu ? Ses principes ? Ses critères ? (Qui peut prétendre détenir le message de Dieu ?)

 

2 bis - Si on ne peut pas, comment accepter de se soumettre aux - possiblement faux - prophètes du droit naturel, comment revendiquer les principes qu'ils défendent sous l'étiquette droit naturel, alors qu'il s'agit d'une invention ?

 

3 - Comment appliquer ou faire exécuter ce droit d'une façon telle qu'on ne puisse le confondre, en ce qui concerne son mode de réalisation, avec droit positif (dans la mesure où l'on caractérise ce droit "nat" comme s'opposant au droit positif) ? (Comment organiser la vie selon le message de Dieu sans risquer de le trahir à travers des simplifications et des représentations erronées ?)

 

3 bis - Si on ne peut pas, faut-il continuer à tout prix à parler de droit "naturel" ? Les institutions ou les simples actes de communication qui seuls permettront une réalisation effective du droit peuvent-ils encore se réclamer de la "nature", au sens premier du terme (en 1) ?

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Je vais te répondre incessamment (V), je suis un peu occupé, mais cette discussion m'intéresse trop pour la laisser tomber ;)

 

Au plaisir de te lire ;)

 

 

 

Tout ce que je peux dire pour l'instant c'est que prendre pour étalon la physique (les lois de la physique) pour juger de la nature du droit naturel est une fausse route, et une réduction qui ne permet pas de le comprendre. 

 

Pareil, je vais te répondre incessamment - je ne cherche pas à prendre pour étalon la physique pour juger de la nature du droit naturel, au contraire je dis que c'est la seule chose à laquelle peut renvoyer l'expression de nature, donc d'une certaine façon à l'absence de droit. Bref, je dis que l'expression "droit naturel" est soit un non sens, soit une trahison d'un véritable "droit objectivement bon" par définition inaccessible, impossible à découvrir dans sa totalité ou à formuler sans ambiguïté (et donc impossible à appliquer avec intégrité dans un parfait respect de chaque sujet de ce droit) - en fait je me rallie un peu à Hobbes sur ces questions de définition.

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Oui. Ce n'est pas qu'une question de forme. C'est fondamental. C'est avec les mots que l'on pense et raisonne : si le "droit naturel" est le fruit de la raison, on ne peut faire l'impasse sur cette question.

 

Elle ne l'est pas. Peu importe le nom qu'on donne au droit naturel, l'important c'est de comprendre ce qu'il signifie. La langue est pleine de mot à l'étymologie détournée.

 

 

 

Seulement cette succession de mots ne prouve rien, ne fonde rien, même si on est spontanément d'accord avec.

 

Les problèmes qui se posent sont les suivants :

 

1 - Comment prouve-t-on l'existence d'un droit objectivement bon ? 

 

Mélange de bon sens, d'instinct et de rigueur logique. 

 

(de la même façon qu'on pourrait demander Comment prouve-t-on l'existence de Dieu ?) Comment prouve-t-on que ce "bon" ainsi visé correspond à la nature même des choses et des êtres ?

 

1 bis - Si on ne peut pas, à quoi bon défendre une telle idée, si ce n'est en tant que croyant, comme acte de foi ?

 

2 - Qui peut prétendre connaître ce droit objectivement bon ? Connaître son contenu ? Ses principes ? Ses critères ? (Qui peut prétendre détenir le message de Dieu ?)

 

2 bis - Si on ne peut pas, comment accepter de se soumettre aux - possiblement faux - prophètes du droit naturel, comment revendiquer les principes qu'ils défendent sous l'étiquette droit naturel, alors qu'il s'agit d'une invention ?

 

Ces problèmes ne sont des problèmes que si on s'imagine que tout savoir doit découler de la démonstration scientifique, bref si on est un putain de nihiliste, donc un emmerdeur. 

 

3 - Comment appliquer ou faire exécuter ce droit d'une façon telle qu'on ne puisse le confondre, en ce qui concerne son mode de réalisation, avec droit positif (dans la mesure où l'on caractérise ce droit "nat" comme s'opposant au droit positif) ? (Comment organiser la vie selon le message de Dieu sans risquer de le trahir à travers des simplifications et des représentations erronées ?)

 

Il ne faut pas confondre le droit positif, qui est un état de fait et qui n'a rien d'opposé ni d'incompatible avec le droit naturel ; avec le positivisme qui est une idéologie et qui se définit par la négation du droit naturel.

 

3 bis - Si on ne peut pas, faut-il continuer à tout prix à parler de droit "naturel" ? Les institutions ou les simples actes de communication qui seuls permettront une réalisation effective du droit peuvent-ils encore se réclamer de la "nature", au sens premier du terme (en 1) ?

 

Sachant que c'est le terme accepté, oui. Mais encore une fois, si ça te trouble tant que ça il existe des synonymes. 

 

Bref, on s'en fout pas mal de comment il faut appeler le DN, l'important c'est que son existence est capitale, car il s'agit de la notion de Justice conçue comme étant une norme objective, et la recherche de cette Justice est elle une tendance naturelle que l'on retrouve chez toutes les sociétés humaines.

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L'énoncé "la propriété" est donc un principe de droit naturel ?

Non, le respect de la propriété en tant qu'institution est un principe de droit naturel.

 

Qu'est-ce que ça signifie ?

Ça signifie qu'il est par principe illégitime de restreindre le droit de propriété d'une personne. En particulier, il est par principe illégitime pour un gouvernement de porter légalement atteinte à la propriété des personnes.

 

Qu'est-ce que ça implique ?

Ça implique qu'il est légitime de protester contre un tel abus lorsqu'il existe. Le positivisme ne donne pas cette possibilité ("c'est la loi, c'est comme ça, c'est indépassable").

 

Ne faudrait-il pas dire "Le respect de la propriété" ?

Sur liberaux.org, je pense que le contexte est suffisamment clair pour que je me permette de simplement dire "la propriété". Mais j'ai développé plus haut.

 

Mais dans ce cas, qu'entend-on exactement par propriété ?

Les principes de la propriété occidentale ont été assez bien définis au fil des siècles, mais il ne s'agit pas de les imposer partout en l'état. Plutôt de respecter dans chaque cas la propriété telle qu'elle existe si elle existe (ce qui ouvre le problème des rapports juridiques interculturels).

 

Et surtout par respect ? Peut-il y avoir des exceptions ?

Tout principe juridique admet des exceptions, qui admettent elles-mêmes des exceptions, et l'entonnoir se resserre le plus possible pour s'adapter à chaque cas.

 

Le moindre de ces principes "naturels" qui peut sembler évident peut aussi ouvrir un débat d'une centaine de pages sur liberaux.org.

Personne n'a dit que c'était simple. La moindre notion de physique a aussi donné lieu à des débats sans fins.

 

Donc où sont ces principes ?

On les découvre par l'édude du droit comparé et de l'histoire du droit.

 

Qui peut prétendre à l'énonciation claire et sans ambiguïté de ce mystérieux droit naturel, de telle façon que tout le monde, par le simple exercice honnête de la raison, y adhère ?

C'est bien d'avoir de hautes exigences, mais avec des critères aussi draconiens on jette aussi par dessus bord l'intégralité des théories scientifiques.

Or personne (de sérieux) ne prétend que la physique ne vaut rien parce qu'il n'existe pas de théorie unifiée, claire et sans ambiguïté de la physique qui ferait l'unanimité.

 

 

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Là où je rejoins (V) c'est que le droit naturel n'est pas opérationnel s'il n'est pas exprimé, et s'il est exprimé, c'est du droit positif, en tout cas pour la résolution des litiges.

C'est vrai, tout droit appliqué est du droit positif par définition, mais quel est le problème ? On peut aussi dire que le jusnaturalisme est une école de doctrine juridique, ça n'enlève rien à sa pertinence.

 

Mais comment ensuite en faire du droit, et rendre intelligible à tous les conditions de vie harmonieuse en société, en tranchant dans les litiges ?

De la même manière qu'on explique aux gens que le libéralisme, en fait, c'est cool : difficilement.

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A partir du moment où l'on discute la formulation même d'un principe du droit naturel, cela ne met-il pas justement en difficulté son côté "naturel" ?

Bin non. Personne ne dit que définir la nature humaine était facile. Ça fait 2500 ans qu'on planche encore dessus. Mais on a appris quelques trucs quand même : on a remarqué qu'aucune société humaine ne pouvait se développer correctement si le vol ou le meurtre restait impuni.

 

Où sont, dans la nature, ces éléments de législation, ces inscriptions, ces principes parfaitement formulés, sans ambiguïté, en tout temps, en tout lieu, pour tous les peuples et tous les êtres vivants doués de raison, pourquoi pas même des extraterrestres ?

"Le Droit naturel n'a pas comme prétention d'établir une table des lois où des règles immuables, intangibles et universelles seraient gravées en lettres de feu sur du marbre. Sa raison d'être est de découvrir, grâce à la raison, quelle est la mesure qui permettra d'ajuster au mieux des êtres humains en conflit, mesure qui se dégage très objectivement de la nature même des relations entres les êtres en question et en tenant compte des circonstances. C'est ainsi que les juges de Common Law "découvre" le droit dans le cas qui leur est soumis. C'est bien pourquoi, le Droit naturel peut évoluer, dans la même mesure qu'évoluent les sociétés humaines. Ainsi, au fur et à mesure de l'évolution des sociétés humaines, de nouvelles règles de Droit naturel apparaîtront, tout en tenant compte de la nature des choses, qui viendront s'insérer dans l'ensemble de solutions parfaitement justes découvertes jusqu'à présent pour d'autres situations."

Lucilio (Reprenant la théorie classique du Droit naturel)

 

Le principe d'organisation de la nature est celui de la force physique, voilà ce qui est. Le lion exerce son droit naturel lorsqu'il bouffe l'antilope. L'homme n'enfreint en rien le droit naturel au sens hobbesien lorsqu'il vole ou rackette un autre homme. Le droit naturel tel que l'entende les jusnaturalistes décrit en réalité ce qui doit être et pose les limites et les conditions, d'un point de vue moral, de l'usage de la force. C'est pourquoi dire que ce droit est "naturel" est une erreur de langage. Sauf si on verse dans le mysticisme et que l'on force la jonction entre ce qui est et ce qui doit être. Et prétendre qu'il s'agit d'une approche téléologique ne résout pas le problème, au contraire, on ferait alors de ce droit nat un pur droit positif. D'où, une nouvelle fois, une opposition qui n'a pas lieu d'être, qui crée la confusion plus qu'elle ne clarifie la situation.

C'est toi qui cherche absolument une opposition entre droit naturel et droit positif.

Michel Villey ne t'as pas plu, soit. Passons à Alain Sériaux :

 

L'un des plus éminents représentants de cette école, le juriste et philosophe autrichien Hans Kelsen (1881-1973), dans son souci majeur de purifier le droit de toute référence à la nature et de présenter ainsi une critique vraiment radicale du jusnaturalisme, allait dénoncer ce qu'il appela "l'erreur logique" (...) du droit naturel.

Nature et droit appartiennent en effet, souligne t-il d'emblée, à deux ordres distincts, qu'il ne faut surtout pas confondre. La nature, pour Kelsen, est "un ordre ou un système d'éléments reliés les uns aux autres par un principe particulier, celui de la causalité" (Théorie pure du droit, chap. 1, 2). Par exemple, pour que le métal se dilate, il faut qu'il soit chauffé. C'est le rôle des sciences de la nature que de rechercher ces causalités. Elles établissent ainsi des lois naturelles indépendantes de toute volonté divine ou humaine. Sur le droit, Kelsen demeure plus évasif (ce qui est curieux pour un juriste). Mais il apparaît clairement que le phénomène juridique (et, au-delà, tout autre phénomène normatif : la morale, la religion) s'appuie tout entier sur le principe d'imputation. Si, par exemple, un individu commet un crime, il doit être puni ; s'il ne paie pas ses dettes, il doit subir une exécution forcée. Il y a bien, ici, une relation entre deux éléments, mais ce n'est pas une relation de causalité, c'est une relation d'imputation ou, plus précisément, de rétribution (châtiment ou récompense). Tel est l'objet des sciences normatives. Kelsen remarque d'ailleurs qu'on a mis du temps à distinguer ces deux logiques. La pensée animiste, qui voit dans les événements naturels une récompense ou châtiment décernés par les dieux, est un exemple de cette confusion. Mais de nos jours, un tel amalgame est injustifié. L'on peut ainsi classer les sciences en deux catégories nettement distinctes : les sciences des faits (physique, biologie et même histoire ou sociologie) et les sciences des normes (quid de la philosophie ?). Ainsi, parler du "droit naturel" est une contradiction in terminis.
 
Sur cette thèse, l'on fera deux remarques : l'une pour l'instant accidentelle ; l'autre essentielle. Tout d'abord, en ce qui concerne ce que Kelsen appelle les sciences normatives, sa thèse nous paraît mal formulée. Dans sa perspective, imputation a le sens de sanction, c'est-à-dire, dans une conception large, toute conséquence que l'on tire d'un acte humain. Cela est d'ailleurs très en accord avec sa doctrine selon laquelle le droit se caractérise avant tout par la coercition (étatique ou sociologique ; extérieure ou intérieure, peu importe ici). Or, c'est justement là que gît la difficulté. Car avant même de savoir s'il y a lieu de sanctionner, encore convient-il d'établir ce qu'il faut sanctionner, autrement dit quels sont les comportements qu'il convient ou non d'adopter ; 90% des règles que tout le monde s'accorde à qualifier de juridiques se bornent à cela. En somme, Kelsen a une vision très pénaliste du droit (le droit pénal n'est qu'un aspect, statistiquement mineur, du phénomène juridique). Pour être acceptable, la thèse de Kelsen, doit être reformulée. Il y a bien dans le droit l'idée de devoir (être ou faire). Mais ce n'est pas la sanction qui fait le devoir, c'est le devoir qui appelle une sanction. Néanmoins, nous accorderons à Kelsen que le droit et, en général, toutes les sciences normatives ont ceci de spécifique qu'elles énoncent des devoirs. Leur principe est l'obligation (et non l'imputation au sens kelsenien).
 
Même ainsi recentrée, faut-il concéder à Kelsen et en général au positivisme la thèse de la rupture entre entre l'être et le devoir être, entre les sciences de la nature et les sciences normatives ? Disons d'emblée que si l'on se place au point de vue de Kelsen, il a effectivement raison : une chose est le fait que certains hommes, voire tous les hommes soient des voleurs, autre chose est qu'ils aient le droit de l'être. Du fait brut ainsi examiné, il n'est pas licite de tirer des conséquences normatives. Mais, pour être exacte en ce sens, la thèse de Kelsen n'en demeure pas moins superficielle et réductrice de la réalité : si l'on va au fond des choses, force nous sera, semble t-il, de reconnaître que la norme sort du fait et que Hume était bien ignorant en dénonçant ce que ses devanciers avaient, eux, conservé tant bien que mal dans l'esprit. Voici pourquoi. Les sciences de la nature n'obéissent pas qu'au principe de causalité tel que le décrit Kelsen. Celui-ci n'a en effet en vue que l'une des quatre causes décrites par Aristote dans sa Physique : la cause efficiente (...).
 
Mais, pour Aristote, la présence de n'importe quel objet dans l'univers s'explique par la conjugaison de quatre causes :
 
  • la cause matérielle (de quoi est fait l'objet ?),
  • la cause formelle (comment est-il fait ?),
  • la cause efficiente (par qui ou par quoi a-t-il été produit ?), et
  • la cause finale (à quoi sert-il ?, ou plutôt - pour éviter une vision utilitariste de la cause finale - vers quoi tend-il ?).
 
D'une chaise, par exemple nous dirons qu'elle est en bois et en métal (cause matérielle) ayant la forme de quatre pieds, d'un panneau vertical et d'un autre horizontal (cause formelle), que c'est un artisan qui a utilisé cette matière et lui a donné forme (cause efficiente) pour qu'elle puisse être principalement utilisée pour s'asseoir (cause finale). Il est capital d'observer que c'est la cause finale qui permet de rendre raison de l'essence (ou de la nature) de la chose étudiée et, par suite, de l'intervention des trois autres causes. "La nature d'une chose est sa fin, puisque ce qu'est chaque chose une fois qu'elle a atteint son complet développement, nous disons que c'est là la nature de la chose (...). En outre, la cause finale, la fin d'une chose est son bien le meilleur.", note Aristote (Politique, I, 2). Ces observations peuvent être faites à propos de n'importe quelle chose "créée" par l'homme. Mais elles valent aussi pour tout ce que l'homme n'a point fait. Cela est vrai d'abord pour les choses inanimées (objets de la physique moderne). Certes, à leur propos, les scientifiques recherchent surtout leurs causes efficientes (si l'on y réfléchit la raison tient sans doute au fait qu'elles sont inanimées : leur mouvement attire l'attention et paraît s'expliquer par le jeu de forces intrinsèques diverses). Mais ils pourraient aussi bien (et peut-être feraient-ils mieux) rechercher leurs causes finales en se demandant par exemple pourquoi telle cause efficiente cesse t-elle de produire son effet lorsque la chose qu'elle meut a atteint tel point déterminé ; n'est-ce pas parce qu'elle a atteint sa fin ? En tout cas le sens commun, quand il le peut, lui, n'hésite pas.
 
Ouvrons le dictionnaire. "Soleil : astre qui donne lumière et chaleur à la terre, et rythme la vie à sa surface." On objectera sans doute que c'est là une vision quelque peu anthropomorphique de l'astre en question. Mais au fond tel n'est pas le cas : si nous trouvons d'autres fins au soleil, rien n'empêche de les souligner ; ces fins supplémentaires permettront de mieux définir ce qu'est fondamentalement le soleil. Lorsque l'on passe au domaine des choses animées (= des choses qui ont en elles-mêmes le principe de leur mouvement), alors la cause finale prend en science (biologie) un relief beaucoup plus accentué : dans la graine, le biologiste discerne déjà la plante épanouie (c'est d'ailleurs pourquoi il est bien difficile pour un biologiste de ne pas voir un être humain dans l'embryon que porte la femme enceinte ; mais là, il se trompe). C'est à partir de la cause finale que le biologiste tire d'ailleurs ses lois. Quelles sont les conditions pour que la graine atteigne sa fin, ce pourquoi elle a été faite : la plante ? Telle est la question qu'il essaie principalement de résoudre. Il en va de même pour ce parachèvement (provisoire ou définitif, peu importe ici) de la nature animée que constitue l'homme. Dans sa double composante matérielle et spirituelle, il tend vers une fin qui est sa propre perfection à la fois physique (l'âge adulte) et morale (l'épanouissement de toutes ses facultées intellectives et volitives). L'Ethique à Nicomaque d'Aristote n'est rien d'autre qu'un essai - ô combien remarquable - de réponse à cette question : à quelles conditions l'homme deviendra t-il pleinement homme sur le plan moral ? De la détermination de ce qu'est l'homme dans sa plénitude découleront des indications sur ce qu'il doit être s'il veut réaliser son humanité.
 
Jusqu'ici nous avons réfléchi sur des cas individuels. Mais si l'on dépasse ce stade et que l'on aborde les phénomènes cosmiques (...), c'est-à-dire sociaux (au sens large), les mêmes questions lancinantes reviennent : à quelles conditions l'univers tout entier atteindra t-il sa pleine stature, vers quoi tend-il ? Appliquée à ce cosmos particulier qu'est la société humaine (la Cité), cette question n'est autre que celle du droit naturel, à savoir : à quelles conditions une société d'hommes peut-elle devenir une société parfaite, une société pleinement achevée ; une société tout court (digne de ce nom, si l'on veut). Cette question, Platon se l'est posée mais il n'a pu lui apporter une réponse correcte : son réalisme transcendant (nous pesons nos mots) la lui a interdite (v. sa superbe République, que les piteuses Lois, écrites sur le tard, n'ont pas réussi à éclipser). Aristote l'a reprise et son réalisme immanent lui permit de jeter sur le sujet quelques lumières décisives (Politique). Seule la pensée chrétienne eut les moyens de le dépasser. Nous verrons pourquoi.
 
Quoi qu'il en soit, il est désormais aisé de comprendre pourquoi il n'existe et ne peut exister aucune rupture entre l'être et le devoir être, contrairement à ce que soutient le positivisme le plus élaboré. L'on recherche ce qu'est véritablement une société et on en induit quelles sont les règles (ou conditions) à observer pour y parvenir (devoir être). De l'être (à réaliser) sort le devoir être ; du devoir être (réalisé) sort l'être. L'être est en ce sens un idéal (= ce qui est à réaliser), mais il indique en même temps ce qui est normal : le normal c'est l'idéal, l'idéal c'est le normal. Le jurisque formule des devoirs-être non parce que l'homme est libre (c'est là l'une de ces fausses pistes à laquelle nous avons longtemps cru nous-même), mais parce que son rôle est d'indiquer aux citoyens quelle est la voie qu'ils doivent suivre pour réaliser entre eux une société au plein sens du terme. Il s'agit en quelque sorte de faire passer la société de la puissance à l'acte.
 
 

1 - Comment prouve-t-on l'existence d'un droit objectivement bon ? (de la même façon qu'on pourrait demander Comment prouve-t-on l'existence de Dieu ?) Comment prouve-t-on que ce "bon" ainsi visé correspond à la nature même des choses et des êtres ?

 

1 bis - Si on ne peut pas, à quoi bon défendre une telle idée, si ce n'est en tant que croyant, comme acte de foi ?

 

2 - Qui peut prétendre connaître ce droit objectivement bon ? Connaître son contenu ? Ses principes ? Ses critères ? (Qui peut prétendre détenir le message de Dieu ?)

 

2 bis - Si on ne peut pas, comment accepter de se soumettre aux - possiblement faux - prophètes du droit naturel, comment revendiquer les principes qu'ils défendent sous l'étiquette droit naturel, alors qu'il s'agit d'une invention ?

 

3 - Comment appliquer ou faire exécuter ce droit d'une façon telle qu'on ne puisse le confondre, en ce qui concerne son mode de réalisation, avec droit positif (dans la mesure où l'on caractérise ce droit "nat" comme s'opposant au droit positif) ? (Comment organiser la vie selon le message de Dieu sans risquer de le trahir à travers des simplifications et des représentations erronées ?)

 

3 bis - Si on ne peut pas, faut-il continuer à tout prix à parler de droit "naturel" ? Les institutions ou les simples actes de communication qui seuls permettront une réalisation effective du droit peuvent-ils encore se réclamer de la "nature", au sens premier du terme (en 1) ?

 

1- Par l'observation, l'expérience, bref l'usage de la raison : constater que certaines sociétés se portent mieux que d'autres.

 

2- Qui se propose de chercher de façon rationnelle les notions de justices universelles qui découlent de la nature des sociétés humaines.

 

"Une critique courante et facile que nous font les adversaires de la loi naturelle est la suivante : “qui donc établira ces prétendues vérités sur la nature de l’homme ?” La réponse ne consiste pas à dire qui mais quoi, car il s’agit tout simplement de la raison humaine. La raison de l’homme est objective, ce qui veut dire que tout homme peut l’employer pour découvrir des vérités sur l’univers. Demander “— En quoi consiste la nature de l’homme ?” c’est s’exposer à ce qu’on vous réponde derechef : “— Mais allez donc trouver ça vous-même!” C’est comme si on prétendait contredire quelqu’un qui aurait affirmé que la nature du cuivre est susceptible d’un examen scientifique, en le défiant d’énoncer immédiatement toutes les lois découvertes sur ce métal."

Murray Rothbard, L'Éthique de la Liberté

 

3- Le droit positif et le droit naturel ne s'opposent pas, tant que le premier est fondé sur le deuxième. Après il n'y a aucune garanti. L'erreur est humaine. Mais la jurisprudence existe.

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A partir du moment où l'on discute la formulation même d'un principe du droit naturel, cela ne met-il pas justement en difficulté son côté "naturel" ? Où sont, dans la nature, ces éléments de législation, ces inscriptions, ces principes parfaitement formulés, sans ambiguïté, en tout temps, en tout lieu, pour tous les peuples et tous les êtres vivants doués de raison, pourquoi pas même des extraterrestres ?

 

Le principe d'organisation de la nature est celui de la force physique, voilà ce qui est. Le lion exerce son droit naturel lorsqu'il bouffe l'antilope. L'homme n'enfreint en rien le droit naturel au sens hobbesien lorsqu'il vole ou rackette un autre homme. Le droit naturel tel que l'entende les jusnaturalistes décrit en réalité ce qui doit être et pose les limites et les conditions, d'un point de vue moral, de l'usage de la force. C'est pourquoi dire que ce droit est "naturel" est une erreur de langage. Sauf si on verse dans le mysticisme et que l'on force la jonction entre ce qui est et ce qui doit être. Et prétendre qu'il s'agit d'une approche téléologique ne résout pas le problème, au contraire, on ferait alors de ce droit nat un pur droit positif. D'où, une nouvelle fois, une opposition qui n'a pas lieu d'être, qui crée la confusion plus qu'elle ne clarifie la situation.

 

L'expression "droit naturel" est effectivement une expression ambiguë, et se rapporte à des théories très différentes à la fois sur le droit et la nature. Tu as sans doute eu dans les mains la petite histoire de Pierre Hadot sur l'idée de nature, qui donne une idée sur le changement de signification et de statut de la nature à travers les âges, depuis Aristote jusqu'à aujourd'hui, ce qui bien entendu a aussi déplacé les problèmes.

 

Quant au terme "droit", il est tout aussi changeant : parle-t-on de règles ou de commandements impératifs universellement valides, de l'activité de juger, de qualités subjectives ou d'un ordre juridique spécifique qui pourrait servir d'un étalon permettant de juger les ordres politiques existants ?

 

Quand Aristote parle de droit naturel, il pense à l'ordre politique et juridique le plus conforme à ce qui appartient en propre à l'homme, sa nature d'animal parlant et raisonnant (les deux notions sont confondues chez lui). Donc plus que vers la physique, c'est vers la biologie qu'il faudrait se tourner pour comprendre ce qu'il entend par là. Il imagine parmi les ordres politiques humains une synthèse qui puisse entretenir, conserver et même refléter l'ordre intérieur de l'être humain (avec sa partie rationnelle ordonnant la part passionnelle et celle "végétative"). C'est tout l'intérêt du livre III de la politique.

 

La relation entre nature et droit s'est déplacée avec les transformations scientifiques des 17 et 18eme siècles, ce qui me fait passer au droit naturel moderne. L'étude de la nature s'émancipe de la philosophie et de la théologie ce qui va obliger les théoriciens à trouver un autre stratagème. En imaginant par exemple un état de nature dans lequel les hommes seraient dotés de droits ou de facultés que les conventions politiques seraient chargées de protéger. Bon, le problème du statut de l'état de nature est connu, et cela a une incidence sur le statut des droits donnés comme naturels. 

 

Maintenant, ces quelques rappels préliminaires formulés, pour ma part, je suis assez séduit par la conception défendue par Randy Barnett (nb : Rincevent, merci encore, on en reparlera The structure of liberty 1998) non pas du droit ou des droits naturels, mais de la loi naturelle comme méthode d'analyse, qui s'inspire à la fois d'Aristote et de Locke d'un côté, mais aussi de David Hume et de Herbert Hart de l'autre.

 

Pour Barnett, les lois naturelles sont des principes normatifs formulés comme des impératifs hypothétiques : si..., alors... (si tu veux faire X, alors tu dois faire Z). Seulement, ce raisonnement en "si-alors" suppose deux préconditions, l'une portant sur la nature des êtres humains et l'autre sur son environnement.

 

C'est là qu'on abandonne Aristote pour Hobbes, Hume et Hart. Barnett partage avec Hobbes l'idée que l'individu a au minimum une préférence pour lui sa propre conservation. Il ajoute à ça d'autres éléments empruntés à Hart. 

 

Dans "Le concept de droit" (1961, 2005) , Hart liste cinq faits contingents qu'il appelle "contenu minimum du droit naturel" sans lequel le "projet minimal de conservation que les hommes forment en s'associant" devient intenable.

 

Le premier porte sur la vulnérabilité humaine ("Si les hommes devaient perdre leur vulnérabilité les uns par rapport aux autres, on verrait disparaître une raison évidente de formuler la prescription la plus caractéristique du droit et de la morale : "tu ne tueras point"" p. 212), le second sur l'égalité approximative entre les êtres humains ("aucun individu n'a une puissance supérieure à celle des autres au point d'être capable, sans aide, de les dominer ou de les asservir plus longtemps qu'une courte période" p. 213), le troisième sur leur altruisme limité, le quatrième sur le caractère limité des ressources et enfin le dernier sur l'intelligence et la force de volonté humaines limitées. 

 

Ces cinq faits permettent à Hart de tenir le raisonnement suivant : étant donné ces conditions, si les individus désirent survivre, ils doivent par conséquent intégrer dans leurs systèmes légaux des règles qui contraignent l'usage de la violence, qui favorise les compromis et la patience mutuelle, des règles minimales de propriété tout comme la règle spécifique qui permette son respect (qui permette aux individus de créer des obligations et de varier leurs conséquences), et l'imposition de sanctions par une organisation coercitive contre les freeriders. 

 

Barnett observe que le raisonnement de Hart se rapproche de celui de Hume (et c'est moi qui ajoute de celui de Hobbes aussi : on déduit de la nature les conditions nécessaires à l'institution artificielle d'une société dédiée à la conservation des individus) en particulier sur la justice. Pour Hume, la justice est un artifice, elle est le produit de l'invention humaine, mais n'est pas arbitraire : elle n'est possible que parce qu'elle prend en compte des faits spécifiques à l'homme et à son environnement. 

 

Pour ceux que ça tente

 

http://www.amazon.com/The-Structure-Liberty-Justice-Rule/dp/0198297297

 

http://www.amazon.fr/Le-concept-droit-H-L-A-Hart/dp/2802801694

  • Yea 1
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Ah, vous voulez dire que les jusnaturalistes utilisent le terme "naturel" comme ils auraient pu dire "droit rouge" ou "droit biloubiloupe" ? En fait je réagis car "naturel" est un adjectif généralement employé pour désigné "ce qui appartient à la nature". Mais évidemment, si on décide que ça veut dire tout autre chose, ok, ok, déformons le sens des mots, puisque les gauchistes le font, pourquoi pas les libertariens ?

[...] 

Pouvez-vous me donner une règle du droit naturel ?

Naturel n'est pas entendu ici comme "ce qui appartient à la nature", mais comme "qui découle de la nature des choses". Exemple : les biens matériels étant désirés par plusieurs mais n'étant pas duplicables ni doués d'ubiquité, la propriété (sous une forme ou sous une autre) finit par émerger comme solution adaptée à ce problème, avec des règles d'acquisition, de cession, de

Non, il peut exister des lois qui ne sont pas la transposition écrite du droit naturel et qui, à la fois, n'y sont pas contraires. Par exemple : une loi qui dispose que l'on doit rouler à droite. C'est tout à fait arbitraire mais ça ne va pas à l'encontre du droit naturel.

En fait, il semble que ce ne soit pas si arbitraire que ça, mais que la conduite à gauche a un avantage trop faible pour s'imposer d'elle-même.

A partir du moment où l'on discute la formulation même d'un principe du droit naturel, cela ne met-il pas justement en difficulté son côté "naturel" ?

On discute depuis des siècles de ce que c'est que l'homme, ça ne remet en rien en cause que les hommes existent.

1 - Comment prouve-t-on l'existence d'un droit objectivement bon ? (de la même façon qu'on pourrait demander Comment prouve-t-on l'existence de Dieu ?) Comment prouve-t-on que ce "bon" ainsi visé correspond à la nature même des choses et des êtres ?

2 - Qui peut prétendre connaître ce droit objectivement bon ? Connaître son contenu ? Ses principes ? Ses critères ? (Qui peut prétendre détenir le message de Dieu ?)

Comment prouve-t-on qu'il est possible de prouver quelque chose ? Qui peut prétendre connaître la manière de prouver quelque chose ?

Appelle ça "droit émergent" si ça te fait bander, mais souviens-toi bien : sans droit naturel, on ne pourrait en aucune manière critiquer le droit positif. Or, le droit positif est éminemment critiquable, pour des raisons que tout le monde comprend : c'est donc qu'il existe un objet qui correspond à la définition du droit naturel. Alors oui, c'est une démonstration par l'absurde, et pour quelqu'un comme moi qui tend vers l'intuitionnisme c'est toujours pénible, mais la preuve est là et bien là.

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Nier le DN c'est nier la justification même du DP, sauf à défendre le cynisme le plus absolu sur le mode "il faut bien un ordre et peu importe que ce soit l'ordre nazi".

Le DN "pur" n'existe pas : il faut bien que quelqu'un écrive les lois, et laisser les juges le faire n'est que déplacer le problème, et par la même occasion le pouvoir. Le DP sans DN n'est que la transcription de la loi du plus fort.

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